Elle réclame 1 million d’euros à la sécu après une greffe aux Etats-Unis: la "bureaucratie" en cause
La sécurité sociale va-t-elle devoir lui verser près d’1 million d’euros? Après avoir obtenu raison en première instance face à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Paris, Laura, une jeune femme greffée des deux mains aux Etats-Unis, attend la décision de la Cour d’appel de Paris, qui étudie cette affaire ce jeudi. Victime d’un choc septique provoqué par un tampon hygiénique en 2007, elle a été amputée des deux avant-bras et des deux jambes. En 2016, elle a été greffée des deux mains aux Etats-Unis, après trois ans d’attente et une impasse administrative sur son dossier en France. Mais la CPAM ne veut pas rembourser la facture américaine.
C’est le Pr Laurent Lantieri, chirurgien plasticien à l'hôpital Georges-Pompidou de Paris, qui accompagne cette patiente. "Elle est venue me voir pour son projet de greffe, raconte-t-il dans ‘Apolline Matin’ ce jeudi sur RMC et RMC Story. Après son amputation, elle a porté des prothèses pendant plusieurs années, elle a repris des études, elle conduisait sa voiture… Mais ces prothèses, ce n’est jamais que des bouts de plastique, qu’elle ne pouvait pas sentir. Elle souhaitait avoir un enfant, comme toute femme, et avoir une greffe des deux mains. Elle a été mise en liste d’attente pendant trois ans, dans mon hôpital, avec des autorisations signées de Claude Evin (alors directeur de l’ARS, ndlr) et un financement. Et puis du jour au lendemain, avec des décisions bureaucratiques qui s’enchainent, elle est retirée de la liste d’attente, sans qu’on lui explique pourquoi. Du coup, on monte un projet pour qu’elle puisse se faire greffer ailleurs, puisqu’elle ne pouvait plus se faire greffer en France."
Si l’opération avait eu lieu en France, le financement, "d’environ 200.000 euros", aurait été pris en charge par l’assurance maladie. Pourquoi Laura a-t-elle donc été rayée de la liste d’attente? "Un jour, la directrice de mon hôpital a dit: ‘Non, on ne va plus le faire’, explique le Pr Laurent Lantieri. Elle a transmis ça à la direction de l’AP-HP, qui était dirigée à l’époque par Martin Hirsch, qui a retransmis à l’Agence de biomédecine, qui a dit ‘On ne peut rien faire d’autre’ et qui a ensuite retransmis ça à toute une série de bureaucrates… Aucun n’a pensé au fondement important: il y avait une femme qui était en attente d’une greffe depuis trois ans et qui était amputée des quatre membres, sans lui donner la moindre possibilité, la moindre issue. Ce sont les termes qui ont été employés: pour des raisons administratives, vous êtes retirée de la liste d’attente. Quand je suis allé à l’Agence de biomédecine, je leur ai demandé si ça s’était déjà vu. Ils m’ont dit non. Et je leur ai dit: ‘Il y a une solution ?’. Ils m’ont dit: ‘Bah, non’. Globalement, l’administration, la bureaucratie, a retiré cette femme de liste d’attente."
"Il faut re-médicaliser la santé en France"
Pour le chirurgien de l'hôpital Georges-Pompidou, Laura est "un cas exceptionnel". Mais d’autres affaires sont relativement similaires. "C’est vrai qu’on se retrouve avec des aberrations de prise en charge, souligne-t-il. Par exemple, je fais beaucoup de chirurgie préventive du cancer du sein. Une partie de ces patientes ont besoin de prothèses, qui sont soumises à entente préalable de la sécurité sociale. De temps en temps, je vois des dossiers où c’est refusé parce qu’elles n’ont pas eu de cancer. On fait une chirurgie préventive pour éviter le cancer. C’est totalement délirant. Ce sont des critères bureaucratiques, administratifs… Il faut re-médicaliser la santé en France."
Aujourd’hui, Laura va "extrêmement bien". "Elle fait d’autant plus usage de ses mains qu’elle a eu un petit bébé il y a quelques mois, dont elle s’occupe totalement, raconte le Pr Lantieri. Quand je lui pose la question pour savoir si elle aurait pu le faire avec ses prothèses, elle me dit qu’elle n’aurait jamais eu d’enfant. C’est une femme épanouie, à qui on a redonné de la dignité. Elle a une vie encore pas tout à fait normale, parce qu’elle est quand même avec des mains qui sont fonctionnelles mais qui ont quelques défauts, et puis elle a des prothèses de jambes."
"C’est une femme qui est aujourd’hui heureuse, ajoute le spécialiste des greffes. Ça fait partie de mes grandes fiertés d’avoir amené ce résultat, de l’avoir emmenée aux Etats-Unis, d’avoir fait cette greffe avec mon ami Scott Levin. On l’a fait sur un coin de table. Il était venu dîner à Paris, je lui avais dit que je n’y arrivais pas. Il m’avait dit: ‘Ecoute, Laurent, on va le faire chez nous’. Je suis très fier. J’espère que d’autres pourront être traités dans mon hôpital. Nous avons fait une greffe de face pour un jeune militaire, qui va très bien. Nous avons d’autres greffes de main en attente. Nous allons continuer. Mais j’espère que plus jamais, nous nous retrouverons dans ce genre de situation."