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Tabou des règles: "on peut parler de nos problèmes digestifs, mais pas du sang menstruel"

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Dans son livre Sang Tabou: essai intime, social et culturel sur les règles, à paraître le 15 mars, Camille Emmanuelle veut faire tomber le silence qui entoure les règles. Un tabou qui provient d'un héritage historique et culturel selon laquelle une femme est impure pendant cette période du mois.

Camille Emmanuelle est journaliste et écrivaine spécialisé sur les questions de sexualité. Son livre Sang Tabou: essai intime, social et culturel sur les règles paraît le 15 mars (Ed. la Musardine):

"Je me suis rendue compte qu'on manquait vraiment d'informations sur les règles, et à tous les niveaux. J'ai 36 ans et j'écris depuis des années sur les questions de sexualité et j'ai appris énormément de choses en faisant mon enquête.

On n'en parle pas pour plusieurs raisons. Nous sommes les héritières d'une vision des règles absolument catastrophique pour des raisons historiques, médicales et religieuses. Les règles, c'est l'impureté, la saleté, c'est la honte. Même si on s'est débarrassé de tout ça, la révolution sexuelle est quand même récente. On a des archétypes mentaux qui ont été formatés sur cette vision-là.

"On a du mal à parler du corps féminin sexuel quand il n'est pas sexy"

Ce qui m'amuse, c'est qu'on peut très bien parler à table de nos allergies anti-gluten, de nos problèmes digestifs, mais pas des règles. Comme si parler caca ça allait, mais pas parler du sang menstruel qui s'écoule tous les mois et qui est lié au cycle féminin et qui fait que l'espèce humaine existe.

Il y a une détabouisation récente des questions liées à la sexualité féminine. Mais c'est très récent, je rappelle toujours que la première étude sur le clitoris a été menée en 1998. On parle dans les magazines féminins de l'orgasme féminin, du clitoris, de la libido féminine mais on parle seulement de la sexualité plaisir. Les règles ne sont pas associées aux questions de désir et de plaisir. Je pense que c'est lié à un tabou plus global: on a du mal à parler du corps féminin sexuel quand il n'est pas sexy.

Depuis 2014, c'est en train de changer. Il y a des formes des tentatives de détabouiser par le biais de happenings. Je me souviens notamment de cette coureuse de marathon qui a couru pendant ses règles sans protection hygiénique. Elle n'est pas là pour dire qu'elle est victime de quelque chose, mais dans son action elle veut parler des autres femmes. C'est une façon d'attirer l'attention sur ce que vivent des millions de femmes: dans le monde certaines n'ont pas les moyens d'acheter des serviettes et des tampons, certaines le vivent encore comme une honte.

"C'est emmerdant, mais ce n'est pas sale"

On a intégré une notion d'empowerment vis-à-vis de nos corps, de notre sexualité mais les règles pas encore. C'est assez drôle parce que ce n'est pas sale! C'est emmerdant, mais ce n'est pas sale!

On ne se pose pas assez la question de comment les femmes vivent leurs règles dans le monde. On se pose la question de l'accès à l'éducation, l'accès aux soins, mais les règles, non. Alors que inégalités se creusent aussi à ce niveau-là. Et quand on voit les traditions par rapport aux règles dans certains pays, c'est moyenâgeux.

Nous, Françaises, on a la liberté de ne pas vivre cet ostracisme. Et que fait-on de notre liberté? Pas grand-chose. On continue à le taire. Et tous les mois, on rappelle aux femmes de 14 à 55 ans qu'elles sont impures, qu'elles sont sales. En Inde, elles ne doivent pas toucher le pot de cornichons, au Népal, elles doivent aller vivre dans une hutte… Dans certains pays, on croit même que le sang des règles peut transmettre des maladies. Donc les femmes ne jettent pas leurs protections hygiéniques, elles les conservent pour aller les jeter en cachette. C'est terrible de devoir subir ça tous les mois! Les règles ne sont pas un problème pour moi, mais pas empathie, par sororité, il faut mettre ce sujet sur le terrain public.

Et c'est aux femmes d'en parler. En France on ne peut pas accuser le patriarcat, c'est nous même en tant que femmes qui nous imposons nos propres limites. Ce qui est amusant, c'est que ce sont souvent des femmes qui font les publicités pour les protections hygiéniques. Donc c'est aussi à nous de nous interroger sur le discours que l'on transmet à nos filles, à nos copines ou à nos mères".

Propos recueillis par Paulina Benavente