Thomas Pesquet, spationaute: "en cas de gros problème, on peut retomber n'importe où sur Terre"

Adrien Borne: En 2008, vous avez été sélectionné parmi 4800 candidats pour partir sur la station spatiale internationale en 2016. Vous êtes également doublure pour le Danois Andreas Mogensen, qui doit effectuer un vol de 10 jours le le 2 septembre 2015.
Thomas Pesquet: Dans quelques jours, je serai à Baïkonour au Kazakhstan. On travaille très dur depuis 2008, là tout devient très réel, on va se retrouver au pied de la fusée, on va s'installer et jusqu'au dernier moment on sera prêts à partir comme eux. Il y a de l'excitation même si comme on a des choses très concrètes à faire chaque jour que parfois on perd de vue notre but. On a un peu le nez dans le guidon. De temps en temps on voit ce but et ça nous fait rêver.
AB: Pourquoi est-ce aussi long de partir dans l'espace?
TP: Les places sont rares et il n'y a pas de vols tous les 6 mois ni même tous les ans. Il faut attendre son tour. Et il y a énormément de choses à savoir sur la Station spatiale: c'est un véhicule extrêmement compliqué. Dans l'espace c'est grand comme un terrain de football. Pour le rejoindre, il faut maîtriser un autre véhicule, la capsule Soyouz qui nous amènera à la station et nous ramènera en bon état on l'espère. Il faut s'entraîner sur les sorties extravéhiculaires en scaphandre, le programme scientifique, la maintenance de la station, tout ça prend énormément de temps. Le Soyouz est un véhicule russe donc il a fallu apprendre le russe pour pouvoir lire les procédures en russe, parler à nos collègues cosmonautes, et parler au centre de contrôle en russe. Il faut pouvoir se comprendre dans une situation d'urgence.
AB: Quel entraînement physique suivez-vous?
TP: On fait au minimum 5 heures de sport par semaine. On est plutôt à 10 heures quand on se rapproche de la mission. Et quand on est là-haut on fait 2h30 de sport tous les jours y compris le dimanche, il faut être en forme pour y aller parce qu'on va perdre de la masse musculaire, de la masse osseuse. L'homme n'est pas fait pour l'état d'impesanteur, donc le corps va s'adapter mais il y a des muscles dont on ne se servira plus beaucoup et que l'on va perdre petit à petit, donc il faut les entraîner avant et pendant la mission pour revenir en bonne santé.
AB: Vous faites même des stages de survie en vue du retour sur Terre…
TP: On fait des stages de survie pour le retour si jamais ça se passe moins bien que prévu et que l'on ne retombe pas au bon endroit. On peut tomber 400-500 km un peu plus loin, en cas de gros problème, on peut tomber n'importe où sur Terre. Il faut être capable de se débrouiller 2-3 jours avec les moyens du bord en attendant que les secours nous retrouvent. Vous savez donc tout faire… Je ne sais pas si on sait tout faire, mais on est surtout patients. Les astronautes sont patients, travailleurs. Psychologiquement ce qu'on demande c'est de travailler en équipe dans la station spatiale: c'est 6 mois dans une grande boîte de conserve donc il faut bien s'entendre avec ses collègues.
AB: Les astronautes ont dégusté récemment la première salade cultivée dans l'espace…
TP: Cela peut sembler anecdotique mais c'est important. Quand on ira plus loin et qu'on s'éloignera encore plus de la Terre, on ne pourra pas emmener avec nous toute la nourriture, donc il faudra produire notre nourriture pendant le voyage. C'est donc un petit pas dans cette direction. Mais sur la station spatiale on a la chance d'avoir de la nourriture française pour les grandes occasions, c'est Alain Ducasse qui s'occupe de ça.
Le quotidien, c'est plutôt en conserve, en tube, en lyophilisé. On a même des projets qui peuvent sembler encore plus fantaisistes, le jour où on ira sur Mars on pourra produire sur place le carburant pour le voyage retour. Car un des challenges dans les missions spatiales, c'est le poids: plus la mission est lourde, plus on a du mal à s'arracher à l'attraction terrestre et plus ça coûte cher, donc on essaie de faire le plus léger possible. Dans 20 ans on verra des hommes sur la surface de Mars.