Après Leclerc, Carrefour: pourquoi la grande distribution veut rendre le Nutri-Score obligatoire?

Les quatre couleurs du Nutri-Score bientôt partout sur Carrefour.fr. Le PDG de l'enseigne, Alexandre Bompard, a annoncé mardi 12 novembre vouloir afficher cette notation, qui renseigne sur les qualités nutritionnelles d'un produit, sur l'ensemble des produits vendus sur son site internet et son application pour le drive et la livraison.
Dans un courrier envoyé à l'ensemble de ses fournisseurs, le directeur de Carrefour explique laisser trois mois aux marques pour répondre, soit en communiquant la notation de leurs produits, soit en refusant formellement que le Nutri-Score soit indiqué. Mais, le cas échéant, Alexandre Bompard prévient que les clients en seront explicitement informés.
Faute de réponse, les équipes de Carrefour procéderont elles-mêmes à ce calcul, en se basant sur les valeurs nutritionnelles des produits, qui sont elles obligatoirement indiquées.
Leclerc pionnier
L'enseigne n'est pas pionnière dans cette démarche: Michel-Édouard Leclerc avait annoncé, dès 2019, vouloir afficher le Nutri-Score sur tous les produits vendus sur E.Leclerc Drive. Ceux qui, sur leclercdrive.fr, sont accolés d'un point d'interrogation entouré des quatre couleurs du Nutri-Score sont ceux pour lesquels la marque a refusé de communiquer la notation.
Dans son courrier, Alexandre Bompard affirme vouloir "aller plus loin encore sur l'information donnée à nos clients sur le profil nutritionnel des produits vendus, afin de leur permettre d'orienter leurs choix de consommation vers une alimentation plus saine et plus durable". Le discours est sensiblement le même du côté du PDG de Leclerc.
Mais pourquoi la grande distribution tient-elle tant au Nutri-Score? En termes de communication et de stratégie commerciale, ce petit logo a en fait de nombreux atouts.
Le premier tient à la concurrence entre enseignes: dans la guerre que se livrent les distributeurs, prôner la transparence et l'information des consommateurs permet de s'attirer les bonnes grâces de ces derniers.
Stratégie commerciale
Le Nutri-Score est désormais bien connu de tous les Français, et fait quasiment l'unanimité. 56% d'entre eux disent même être influencés par cette notation dans leurs choix de courses alimentaires, selon le panéliste Kantar. L'afficher et communiquer sur cet affichage permet donc aux enseignes de faire venir les clients dans leurs magasins.
Une autre raison de vouloir mettre le Nutri-Score partout tient plus à la concurrence entre les marques de distributeurs et les marques nationales. Les premières captent de plus en plus de part de marché, atteignant 34,4% en 2023. Pour gagner encore du terrain, elles disposent de deux leviers: le prix et la qualité.
Déjà moins chères d'environ 35% par rapport aux marques nationales, les marques de distributeurs font donc des efforts pour améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits et changent leurs recettes en conséquence.
C'est d'ailleurs ce qu'affirmait Michel-Édouard Leclerc sur son blog le 18 décembre 2023: "Nutri-Score a obligé les équipes qui s'occupent du cahier des charges à revoir les recettes, diminuer les taux de sel, de sucre, etc."
RMC Conso a repéré, par exemple, des biscuits pour petit-déjeuner au miel et pépites de chocolat Marque repère (la marque de distributeur de Leclerc) passés de D à C parce que le taux de graisse et de sucre ont été diminués.
Comparer marques nationales et MDD
Le problème, c'est que la comparaison avec le principal concurrent de ces biscuits, leurs équivalents de la marque Belvita de Lu, est impossible, le groupe Mondelez, auquel Lu appartient, refusant d'appliquer le Nutri-Score sur ses produits.
Ce n'est pas le seul, puisque le Nutri-Score n'apparaît que sur 41% des produits de grandes marques, tandis que les marques de distributeurs jouent quasiment toutes le jeu, comme l'a démontré une étude menée par des économistes de l’université Paris-Saclay et d’Inrae (l'Institut national de la recherche agronomique).
D'où le souhait de la grande distribution de voir les marques nationales aller vers également plus de transparence.
Pour connaître le Nutri-Score d'un produit qui ne l'affiche pas, il est néanmoins possible d'utiliser la plateforme OpenFoodFacts, une base de données indépendante qui procède elle-même au calcul du Nutri-Score des produits enregistrés.
Cela nous permet de constater que les biscuits pour petit-déjeuner au miel et pépites de chocolat de la marque Belvita obtiennent la note D, soit une plus mauvaise note que leur équivalent marque distributeur chez Leclerc. Même si les différences sont peu nombreuses, le taux de sucre légèrement inférieur chez la référence du distributeur a probablement permis au produit d'obtenir une meilleure note.
Certaines marques font malgré tout des efforts pour améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits, à l'instar de Kellogg's qui, en 2021, a reformulé les recettes de plusieurs références de céréales pour en améliorer le Nutri-Score.
Baisse des ventes sur les produits mal notés
Mais la tâche est plus délicate, voire irréalisable, sur certaines gammes comme les confiseries, le chocolat, les pâtes à tartiner. Améliorer le Nutri-Score d'un produit aussi gras et sucré que le Nutella, par exemple, sans en modifier considérablement le goût, est mission impossible.
Des groupes dont le chiffre d'affaires repose surtout sur ce type de produits, comme le groupe Ferrero (Kinder, Nutella, Raffaello...), craignent donc que l'affichage du Nutri-Score ait un impact négatif sur leurs ventes.
Car selon une étude du panéliste NielsenIQ de juillet 2023, ce sont effectivement les produits notés A ou B qui performent mieux en rayons, tandis que les plus mal notés voient leurs ventes baisser.
Mais l'étude met en lumière une autre information intéressante: à produits gras et sucrés équivalents, ceux dont les ventes chutent le plus sont ceux qui n'affichent pas le Nutri-Score.
Un constat corrélé par une autre récente étude de l'institut Kantar, citée par Le Parisien: "un produit noté D est plus rassurant qu'un produit n'affichant rien," estime à ce sujet Gaëlle Le Floch, de Kantar Worldpanel, interrogée par nos confrères. De quoi faire peut-être changer d'avis à certaines marques.