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Force des lobbys, dissolution... Pourquoi le nouveau Nutri-Score est au point mort

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Le nouveau Nutri-Score, ce fameux indicateur allant de A à E qui renseigne sur l’apport calorique d’un produit, sa teneur en sucre, en graisses et en sel, devait entrer en vigueur le 1er janvier dernier en France. Et pourtant ça bloque.

Le nouveau mode de calcul du Nutri-Score, qui fait pourtant l’objet d’un consensus scientifique et d’un accord entre plusieurs Etats européens, devait effectivement entrer en vigueur en France le 1er janvier 2024. Mais aujourd’hui, l’arrêté ministériel n’a toujours pas été publié. Officiellement, c'est la faute à la dissolution du 9 juin et au gouvernement démissionnaire qui, pendant des mois, s’est contenté d’expédier les affaires courantes.

D’autres pays l’appliquent déjà: l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg… Mais pas la France. Pourtant, cet arrêté ministériel aurait pu constituer ce qu’on appelle "une affaire courante". Il n’en a rien été. Et depuis la nomination du gouvernement de Michel Barnier, non plus. Le Nutri-Score est au point mort.

Une exception pour les fromages AOP

Tout est politique. Et le Nutri-Score aussi est politique. De nombreux parlementaires, mais aussi des ministres actuellement en exercice, sont contre ce nouveau mode de calcul du Nutri-Score. A commencer par la nouvelle ministre de l’Agriculture, Annie Genevard. L’ancienne député du Doubs ne s’en cache pas, elle veut défendre sa filière locale et, notamment, les 4 fromages AOP (Appellation d’origine contrôlée) de Franche-Comté: le Comté, le Mont d'Or, le Bleu de Gex et le Morbier.

"Avec cette histoire de Nutri-Score, il y a un péril mortel pour nous", disait-elle avant de devenir ministre.

Annie Genevard avait même travaillé sur une proposition de loi visant à exempter les produits AOP de l’obligation d’apposer le Nutri-Score. Une proposition soutenue à l’époque par l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur, Patrick Hetzel, quand il était député du Bas-Rhin. Et ils ne sont pas les seuls. Avant d’entrer au gouvernement, Antoine Armand, député de Haute-Savoie, devenu ministre de l’Economie, voulait lui aussi réviser les méthodes de calcul du Nutri-Score pour protéger les fromages de sa région: le Reblochon et l’Abondance entre autres.

La matinale 100% info et auditeurs. Tous les matins, Apolline de Malherbe décrypte l'actualité du jour dans la bonne humeur, avec un journal toutes les demies-heures, Charles Magnien, le relais des auditeurs, Emmanuel Lechypre pour l'économie, et Matthieu Belliard pour ses explications quotidennes. L'humoriste Arnaud Demanche vient compléter la bande avec deux rendez-vous à 7h20 et 8h20.
Expliquez-nous par Laurent Neumann : Nouveau Nutri-Score, pourquoi ça bloque ? - 23/10
3:26

"Le poison, c’est la dose"

Pourtant, les consommateurs français l'ont adopté, ce Nutri-Score. Il a été mis en place en France en 2016 et il est désormais plébiscité par 94% des consommateurs. Le problème, disent ses détracteurs, c’est qu’une mauvaise lecture du Nutri-Score pourrait laisser penser que les produits classés D ou E ne sont pas des produits de qualité.

L’exemple le plus caricatural, c’est le Roquefort. Il est classé E car trop gras et trop salé. Mais c’est très bon, à condition de ne pas en abuser. Albert Einstein  disait d'ailleurs: "le poison, ce n’est pas le produit, c’est la dose".

Les calculs du Nutri-Score sont basés sur 100ml ou 100g de produit consommé. Or, la consommation courante de fromage est très inférieure à 100 grammes. C’est d’ailleurs pour cette raison que Julien Denormandie, l’ancien ministre de l’Agriculture, voulait que le Nutri-Score soit adopté à l’échelle européenne, afin de ne pas pénaliser les seuls produits français, et notamment les fromages AOP. Sauf qu’au niveau européen aussi, tout est gelé. A cause de l’Italie: Giorgia Meloni a fait reculer la Commission européenne qui voulait le même Nutri-Score pour les 27 Etats-membres. Ce ne sera pas le cas.

Lobby européen

Donc ça ne bloque pas que pour satisfaire les producteurs de fromages français. Il y a aussi le lobbying des industriels de l’agroalimentaire, en France et en Europe. Danone, par exemple, qui avait été un des premiers à l’adopter en 2017, l’a retiré de ses boissons lactées ou végétales (Actimel, Taillefine, Joker…) car trop sucrées et donc désormais classées D ou E. Danone reproche au nouveau Nutri-Score de basculer ses produits laitiers dans la catégorie des boissons et donc "d’apporter une vision erronée de leur qualité nutritionnelle".

En revanche, Danone continue d’afficher l’ancien Nutri-Score sur ses yaourts dont la note reste avantageuse. En réalité, c’est toute l’industrie laitière qui souhaite en être exemptée. Au grand dam des consommateurs qui, eux, risquent de ne plus être informés du tout.

SG avec Laurent Neumann