Roquefort, avocat, huître, os à moelle... Vous laisseriez-vous tenter par une glace salée?

Des bacs de sorbets et de crèmes glacées (photo d'illustration). - Pixabay
264 millions: c'est le nombre de glaces vendues depuis le début de l'année 2025, soit une augmentation de 26% par rapport à l'année dernière (209,1 millions), selon une étude du cabinet NielsenIQ.
Sur ce marché, l'innovation représente 7,1 % du chiffre d’affaires. Un taux bien supérieur à celui des autres produits sucrés surgelés où les nouveautés ne se chiffrent qu'autour de 2,5%.
Dans cette dynamique d'innovation, il y a les saveurs sucrées-salées, les glaces végétales ou sans lactose qui ont représenté près de 72 % des lancements en 2024, et l’apparition croissante de glaces salées.
Huile d'olive, piment d'Espelette, parmesan-ail, roquefort, légumes rôtis, foie gras, huître, boudin noir ou encore os à moelle, bacon ou chorizo... De plus en plus d'acteurs commencent à investir ce segment de marché, avec comme principal argument de proposer une expérience nouvelle aux consommateurs.
Mais les produits se heurtent à une limite de taille, celle de bouleverser des habitudes ancrées autour du sucré, surtout pour la glace et l'imaginaire qu'elle implique.
Quelles sont les forces et les faiblesses de ce marché des glaces salées? A-t-il un avenir en perspective? Et quelles sont les pistes pour assurer sa croissance à plus long terme? Analyse de cette tendance.
"En quête de nouveautés, d'originalité"
Si les glaces salées ont commencé à se faire une place sur le marché, c'est pour plusieurs raisons. D'abord, c'est parce qu'elles répondent aux attentes actuelles des consommateurs.
"Ils sont de plus en plus curieux, en quête de nouveautés, d'originalité et d'expériences gustatives uniques. Et les glaces salées avec leurs saveurs audacieuses et jamais vues sont complètement en accord avec ces envies", explique à RMC Conso Gabriel Destremaut, responsable des relations publiques chez SumUp, spécialisé dans les terminaux et solutions de paiement.
Parmi les autres nombreuses attentes des consommateurs, la volonté croissante de manger local. Et c'est l'une des dominantes de ce marché des glaces salées: mettre en avant l'identité d'une région à travers des recettes comme huile d'olive, herbes de Provence, piment d'Espelette, foie gras, boudin noir etc.
Et pour l'instant, le contexte économique n'est pas un frein. "Malgré le coût de la vie, les gens veulent continuer de se faire plaisir. Ils restent donc prêts à investir dans des produits différenciants et surprenants", poursuit-il.
Si cette tendance a pris une nouvelle tournure depuis le début de l'année, c'est aussi parce que la consommation de glaces commence à se désaisonnaliser. En janvier-février 2025, le marché affichait déjà une croissance de +9 % de chiffre d’affaires par rapport à 2024. Une période dont la météo est plus propice à l'achat de parfums salés.
Par ailleurs, le marché des glaces salées est "en phase avec des cycles de consommation plus courts, largement influencés par les tendances sur les réseaux sociaux comme en témoignent récemment les phénomènes autour du chocolat Dubaï ou de la pâte à tartiner el Mordjene", analyse Gabriel Destremaut.
Un "pari" qui fonctionne
Cette intuition, Henri Guittet l'a suivi il y a près d'une dizaine d'années. Fondateur de Glazed, un artisan glacier parisien, il s'est lancé parce qu'il n'y avait, à l'époque, "pas d'innovation sur le maché de la glace".
"Au début, c'était un vrai pari. Je ne savais pas si la réponse du consommateur allait être là. Tout ce que je voulais, c'était proposer quelque chose de différent", se rappelle-t-il.
Parmi les parfums incontournables, il y a l'os à moelle, créé en 2021 et qui a été redemandé par les clients, mais aussi boudin noir, huître, pickles de moutarde, nduja (saucisse pimentée à la braise), avocat, basilic-vodka, kimchi (chou chinois et piments) ou encore algues nori.
Des matières premières qui peuvent donc être plus chères que les fruits notamment. Est-ce que cela implique des hausses de prix? "Il n'y a pas de politique de prix sur les parfums, ce sont les mêmes tarifs pour le sucré, comme pour le salé", assure Henri Guittet. Ici, comptez 4,50 euros les deux boules.
En dix ans, l'artisan glacier a conçu près de 150 recettes, soit une dizaine de nouvelles créations par an. Depuis, Henri Guittet revendique "des bons retours des clients et une croissance chaque année".
"Un marché de niche"
Pour autant, le fondateur de Glazed est aussi réaliste et conscient qu'il s'agit encore d'un "marché de niche". C'est la raison pour laquelle sa gamme de parfums salés est réduite par rapport au sucré et souvent proposée en édition limitée.
Un constat confirmé par Bernard Boutboul, président de Gira Conseil, un cabinet de conseil et d'accompagnement spécialisé dans la restauration hors domicile.
"C'est un marché de niche, très innovant et créatif. Les glaces salées se retrouvent dans les restaurants haut de gamme ou dans des émissions culinaires. Certains artisans glaciers essayent aussi, mais elles pèsent encore trop peu dans leurs ventes avec seulement 2 à 3% de taux de prise [popularité d'un produit], comme le végétal actuellement. Donc, il y a peu d'acteurs et en plus c'est compliqué d'entrer sur le marché, ce qui n'est pas forcément très incitatif", nous explique-t-il.
HappyVore, leader français des alternatives végétales, en a justement vu rapidement les limites. "Pour lancer le segment du surgelé végétal, nous ne pouvions pas simplement arriver avec nos nuggets, ça aurait été léger. Nous avons choisi un secteur qui a le vent en poupe, la glace, et un segment de niche, le salé, en guise d'accroche pour créer un coup de communication étonnant", raconte à RMC Conso Mathilde Marcant, responsable marketing du groupe.
En un mois, la marque a créé deux parfums, liés à leurs produits phares: nugget, avec des morceaux de chapelure sur le dessus, et chipolata avec des herbes de Provence. Entre 100 et 150 échantillons ont été distribués dans les rues de Paris.
Résultat: "globalement, les consommateurs étaient curieux et certains, à la marge, ont été surpris positivement par le goût. Mais la majorité est restée dubitative", constate-t-elle.
Pourquoi? La raison est plutôt évidente, selon la responsable marketing. "Les gens n'ont pas l'habitude et n'arrivent pas à se projeter dans ce mode de consommation."
"La glace, c'est un plaisir sucré, une gourmandise en fin de repas ou pour le goûter. Le salé n'est pas encore dans notre imaginaire. C'est une question de culture et de mentalité, et je ne vois comment ça pourrait se retourner. Le segment des gauffres salées est un peu dans la même situation", renchérit le président de Gira Conseil.
De plus, "les consommateurs ont dû mal avec le décalage entre le goût qu'ils ont en bouche et la texture d'origine à laquelle ils pensent mentalement", ajoute Mathilde Marcant.
Du temps pour s'imposer
Mais alors, les glaces salées ont-elles un avenir devant elles? Ce qui est sûr, c'est que les glaces salées n'atteindront "jamais un niveau équivalent au sucré", affirme le fondateur de Glazed.
Cependant, tous s'accordent à dire que ce segment a un avenir, mais que cela prendra du temps. La responsable marketing d'HappyVore évoque l'hypothèse de 15 à 20 ans pour que les glaces salées s'imposent sur le marché. Selon l'artisan glacier, elles vont ouvrir de nouvelles portes.
"Les glaces salées vont pousser d'autres moments de consommation, en guise d'apéritif ou d'entrée par exemple. Elles représentent aussi un moyen de désaisonnaliser le produit et de permettre aux glaciers d'en vendre toute l'année."
Pour les professionnels, c'est une "opportunité stratégique pour se démarquer" qu'il ne faut pas manquer, poursuit Gabriel Destremaut de SumUp.
Le sucré-salé, une piste à envisager
Et y-a-t-il des pistes à privilégier pour viser une croissance à plus long terme? D'abord, mixer les saveurs sucrées et salées.
"Cette étape permettrait de mieux pénétrer le marché", assure Bernard Boutboul. Un point de vue partagé par Mathilde Marcant qui évoque le succès actuel des parfums caramel beurre-salé et beurre de cacahuète.
Et c'est ce qui explique aujourd'hui le succès de Glazed qui, à côté de parfums salés, propose des saveurs sucrées-salées comme melon-roquette, mangue-piment d'Espelette ou encore orange-olive noire.
Autre idée: penser la glace salée comme un accompagnement. "Il faut faire le parallèle avec le beurre noisette sur la viande. Des parfums comme parmesan ou mozzarella pourraient bien fonctionner dans cette optique", suggère la responsable marketing d'HappyVore.
Il est également possible de sortir une nouvelle saveur, selon une certaine temporalité. Une par mois par exemple pour tester, prendre le poul des consommateurs et créer de l'attente.
L'autre point important, c'est "d'accompagner les clients, leur demander s'ils connaissent ces parfums, leur expliquer le processus de fabrication et leur proposer de goûter avant d'acheter, ce sera plus facile pour les consommateurs de sauter le pas", conclu le fondateur de Glazed, qui pratique par ailleurs déjà cette méthode.