Loi anti fast-fashion: comment se décompose le prix d'un t-shirt made in France VS made in China?

La loi anti fast fashion est actuellement débattue au Sénat (photo d'illustration). - Kirill KUDRYAVTSEV / AFP
La proposition de loi pour lutter contre la "fast fashion" est examinée depuis ce lundi 2 juin au Sénat, soit plus d'un an après avoir été adoptée à l'Assemblée nationale en mars 2024.
Dans le viseur de cette loi, les géants Shein et Temu qui proposent des vêtements à des prix dérisoires.
Mais qu'y-a-t-il derrière ces prix? Et comment expliquer de tels écarts avec les vêtements français? RMC Conso vous explique.
"Payés dix fois moins"
Le t-shirt le moins cher sur Shein démarre à seulement 1,57 euros contre 17 euros pour un t-shirt français de la marque Navir par exemple.
La main d'œuvre, qui représente une des parts les plus importantes du coût de revient d'un vêtement, est en partie responsable de cette différence du prix final.
En Chine, le salaire mensuel moyen est de 935 euros, alors qu'il s'élève à 2.375 euros dans l'Hexagone, selon les chiffres du réseau Résilience, spécialisé dans le textile. Ainsi, le salaire du travailleur représente 0,5% du prix d'un t-shirt chinois contre 30% pour le français, d'après le média spécialisé Homère.
"En Chine, la main d'œuvre est très faiblement rémunérée: de 1,50 euros à 2,50 euros par vêtement confectionné. En France, le coût de la main d'œuvre s'élève de 12 euros à 16 euros par pièce. Il y a donc un écart significatif", explique à RMC Conso Marion Goilav, co-fondatrice de la marque Elia qui fabrique des culottes menstruelles made in France.
"Les travailleurs chinois sont donc payés presque dix fois moins que les employés français", nous confirme Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin.
En France, cela s'explique par l'encadrement des salaires, de bonnes conditions de travail, la garantie de sécurité etc.
Le choix de la matière première
Après la main d'œuvre, l'autre principale différence entre un t-shirt chinois et un made in France, c'est la matière première utilisée.
Les t-shirts chinois sont souvent fabriqués en polyester, une matière artificielle synthétique dérivée du pétrole. Quant aux t-shirts français, les marques privilégient le coton et souvent biologique, plus qualitatif et donc plus cher.
"Les matières premières en Chine sont importées à bas coûts et ont une traçabilité floue. On peut trouver du coton bio par exemple, mais travaillé dans des conditions déplorables par les Ouïghours. Le coût de la matière première représente 5 à 6% du prix du vêtement, contre près de 20% en France, où la traçabilité est entière et sur toutes les étapes du produit", détaille Marion Goilav.
Ensuite, il y a d'autres coûts liés à la fabrication d'un t-shirt. D'abord, la marge de l'atelier qui est de 3,5% en Chine et de 6% en France. Cela peut être dû à différents paramètres comme la recherche et développement, l'innovation ou encore la qualité des locaux et des machines.
Les frais liés au transport représentent 3% seulement du prix du vêtement français, notamment parce qu'il s'agit d'une "production locale et en circuit court", pointe la co-fondatrice d'Elia. Ils s'élèvent à 8% en Chine.
Enfin, une marque chinoise fait 70% de marge sur le prix du vêtement. Cela s'explique par des coûts de production faibles (main d'œuvre, matière première) et une production de masse. De son côté, une marque française n'en tire que 30% en moyenne, car ses coûts sont plus élevés, selon Homère.
Dans un t-shirt chinois affiché au prix de 10 euros, il y a 1,20 euros pour la matière première, 5 centimes de main d'œuvre, 35 centimes pour la marge de l'atelier, 80 centimes liés aux frais de transport, 60 centimes de frais annexes et 7 euros de marge pour la marque.
Du côté du t-shirt français au prix de 17 euros, il y a 4,25 euros pour la matière première, 5,10 euros de main d'oeuvre, 1,02 euros de marge de l'atelier, 51 centimes pour le transport, 1,02 euros de frais annexes et 5,10 euros de marge pour la marque.
Un prix bas qui cache d'autres réalités
Cette énorme différence de prix explique le succès des plateformes chinoises Shein et Temu auprès des consommateurs français. "C'est tentant de vouloir optimiser son pouvoir d'achat, avoue Yann Rivoallan. Mais derrière un prix aussi bas, il y a des personnes qui souffrent", rappelle-t-il.
Ce prix cache aussi des "conséquences sanitaires et environnementales catastrophiques", poursuit auprès de RMC Conso Gilles Attaf, président d'Origine France Garantie.
"Jusqu'à 1.000 produits chimiques peuvent être impliqués dans la fabrication d'un seul vêtement. Les usines sont exposées aux poussières, les produits sont emballés dans des packaging plastiques et les rats urinent dessus", nous expliquait dans cet article Victoire Satto, médecin et experte des enjeux environnementaux dans le secteur de la mode. Ces produits sont notamment responsables de perturbations endocriniennes, de cancers, de réactions allergiques ou encore de troubles de la reproduction.
En 2024, 4,6 milliards de colis d'une valeur inférieure à 150 euros sont entrés sur le marché européen, soit 145 par seconde. Et 91% venaient de Chine. Un véritable fléau donc pour l'environnement à cause des émissions de gaz à effet de serre générées par le transport en bateau et en avion.
Sur ces deux points, les entreprises françaises sont nettement plus encadrées et doivent respecter des normes strictes. "Shein et Temu vont au-delà de ces normes, donc il y a une vraie concurrence déloyale avec les entreprises françaises", dénonce Gilles Attaf.
Celui-ci suggère de "consommer moins mais mieux et de faire de la pédagogie auprès des consommateurs". "Il faut davantage privilégier des vêtements de qualité et qui durent, mais aussi de la seconde main", poursuit Yann Rivoallan, qui a pour projet de lancer un chèque de seconde main.
Dans les années à venir, si "les entreprises françaises jouent sur l'innovation et augmentent significativement leurs volumes, elles pourraient être réellement compétitives", conclut le président d'Origine France Garantie.