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Entre la colocation et l'hôtel: le coliving, une solution à la crise du logement ou une partie du problème?

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Le coliving, à mi-chemin entre la colocation et la résidence hôtelière, explose. Est-ce une solution à la crise du logement, ou, au contraire, l'illustration même de cette crise? Décryptage.

Une colocation 2.0. Le coliving, un mode d’habitat hybride entre la location et l’hôtel, est en plein boom. Le principe: chaque habitant a sa propre chambre dans une grande maison ou un grand appartement, et partage des espaces communs (salon, cuisine) avec d’autres habitants.

Jusque-là, rien d’inhabituel. Si ce n'est que le coliving intègre un ensemble de services additionnels: non seulement l’électricité et internet sont compris, mais en plus le gestionnaire, généralement un opérateur privé dont l’activité est entièrement dédiée à cela, prévoit ménage, linge de lit, abonnement Netflix, voire cours de sport ou encore dégustation de vin.

14.000 lits en coliving

Cette formule importée des États-Unis en 2017 explose avec la crise du logement. De 2.600 lits en 2020, il s’en loue aujourd’hui près de 14.000, selon les données de l’institut d’études privé Xerfi.

Sur les 38 millions de logements que compte la France selon l’INSEE, cela peut paraître anecdotique. Mais alors que le nombre de lits en coliving a été multiplié par cinq, le nombre de logements en location classique a diminué de 60% en 2023 selon la FNAIM. Preuve que la tendance est bien réelle. D’ailleurs, les gros promoteurs et investisseurs ne s’y trompent pas, et tous se mettent au coliving: AXA, Bouygues, Nexity, Vinci…

Ce phénomène cible avant tout les personnes vivant seules. Soit plus de 11 millions de clients potentiels en France, un chiffre qui a quasiment triplé en 60 ans, selon le Centre d’observation de la société.

Les jeunes, étudiants ou actifs, trouvent dans le coliving la solution à deux de leurs principaux besoins: le premier, se loger dans des grandes villes où le prix des loyers explose (entre 30 et 40 euros le m² à Paris). Le deuxième, la flexibilité que leur impose un monde du travail de plus en plus instable. De nombreux coliving incluent des espaces de coworking et permettent aux locataires de ne rester que quelques mois.

"Les jeunes ne s’installent plus pour dix ans au même endroit, ils s’en vont au bout de deux ou trois ans et n’amortissent pas tous les équipements qu’ils ont achetés. C’est en partie pour cela qu’existe le coliving," explique à RMC Conso Fabrice Simondi, cofondateur de Vitanovae, une société immobilière qui propose de l’habitat partagé.

Troisième argument des défenseurs du coliving: ce mode d’habitat partagé recrée, selon eux, du lien social. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains espaces de coliving s’adressent aux personnes âgées isolées, aux familles monoparentales ou encore aux personnes en situation de handicap.

"Les logements actuels ne sont plus en phase avec l’évolution de la société, note le professionnel de l'immobilier. Dans les grandes villes, près de la moitié de la population vit seule. Il y a 10% de familles monoparentales. Le coliving répond aussi au besoin des gens de vivre ensemble."

Loyers élevés

Mais pour ses détracteurs, le coliving est avant tout un juteux business pour les investisseurs. Il est vrai que le marché est porté par une trentaine de start-up qui proposent des logements hauts de gamme pour correspondre à des catégories socio-professionnelles supérieures. Certains abritent même piscine et jacuzzi.

Résultat, les loyers sont élevés: 850 euros en moyenne pour une chambre en coliving, tandis que le prix moyen d’une chambre en colocation à Paris s’élève à 740 euros, d’après une étude du site spécialisé LocService.fr. L’écart semble même plus grand dans les grandes villes de province, comme à Lyon où une chambre en colocation coûte en moyenne 529 euros par mois.

Un tarif à la hauteur des prestations proposées, selon Fabrice Simondi:

"Cette forme d’habitat partagé géré demande beaucoup de maintenance, de ressources, le même personnel qu’un hôtel. Si on veut comparer des prix, il faut comparer les prix du coliving aux prix des hôtels, et vous verrez que le coliving est beaucoup moins cher."

Pourtant, de nombreuses villes sont réfractaires et craignent que le coliving alimente la crise du logement. Pour Sophia Popoff, adjointe au logement et renouvellement urbain de Lyon, citée par La Provence, le coliving "raréfie l’offre et tire les prix vers le haut".

Flou juridique

Le coliving souffre en effet d’un flou juridique. Il n’a pas de statut officiel: si le locataire reste moins de trois mois, la location est considérée comme saisonnière, au même titre qu’un hôtel.

Dans ce cas, le bailleur n’est pas soumis à l’encadrement des loyers dans les grandes villes qui sont concernées. Au-delà de trois mois, il peut s’agir d’un bail mobilité ou d’un bail classique et dans ce cas, le bailleur doit respecter l’encadrement des loyers.

"Le cadre juridique n’est pas flou, estime au contraire Fabrice Simondi. En fonction de la façon dont est exploité le logement, location courte durée ou résidence principale, il y a une règlementation claire qui s’applique, c’est simple. Ce qui est fourre-tout, c’est l’utilisation du terme coliving lui-même, qui renferme de nombreuses réalités différentes."

Mais, selon Me Aurore Tabordet-Merigoux, avocate spécialisée en droit immobilier interrogée par RMC Conso, les services additionnels librement facturés par les bailleurs permettent de contourner l’encadrement des loyers.

"Le coliving ne répond pas à une définition précise. En conséquence, s’il s’agit de la résidence principale des locataires, alors l’encadrement des loyers s’applique mais les bailleurs margent sur les services annexes qui sont généralement proposés," explique-t-elle.

Besoin de s'adapter à la société

La ville de Lyon craint la disparition des appartements familiaux et estime que le gouvernement doit se pencher sur la question de la législation.

Pour Fabrice Simondi, cette préoccupation est obsolète: "Les mairies ont du mal à appréhender l’innovation. Elles sont dans l’interrogation car elles ne cernent pas bien le modèle."

"Le coliving est une typologie d’habitat qui correspond à la morphologie de notre société contemporaine. La carte postale de la famille avec voiture, la maison individuelle, deux enfants et le chien, ce n’est plus la structure de la population actuelle."

Quoi qu’il en soit, à mesure que de nouveaux immeubles dédiés au coliving sortiront de terre, des questions juridiques se poseront forcément. À l’instar de ce qui s’est passé à Bordeaux, en août dernier.

Le tribunal administratif a donné raison à la ville, en litige avec un promoteur qui avait aménagé neuf chambres en coliving tandis que le permis de construire permettait la construction de trois logements seulement. Le juge a estimé que chaque chambre était bien un logement indépendant, et devait être livrée avec une place de parking.

Charlotte Méritan