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Apolline Matin

"Expliquez-nous": pourquoi l'Algérie demande-t-elle encore des excuses à la France?

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Abdelmadjid Tebboune, le nouveau président algérien, veut de nouvelles excuses de la part de la France et réclame également des gestes concrets.

À l’occasion du 58eme anniversaire de l'indépendance, le 5 juillet, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a estimé que la France n’avait jusqu'à présent présenté que des "demi-excuses" et qu’elle "devait aller plus loin". Il parle des différentes déclarations d’Emmanuel Macron avant et depuis son élection. 

A Alger en 2017, Emmanuel Macron avait parlé de la colonisation comme d’un “crime contre l’Humanité”. C’étaient des paroles fortes, mais il n’avait pas prononcé le mot d’“excuse”. Quelques mois avant, dans une interview au Point, il avait parlé des éléments de "barbarie de la colonisation" et avait évoqué la torture pratiquée par l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Il avait aussi parlé des éléments de civilisation, de l'émergence d’un Etat et d’une classe moyenne, de la création de richesse. Bref, c’était le "en même temps": la colonisation française "en même temps" barbare et civilisatrice. 

Le président algérien voudrait donc des paroles plus claires. Des excuses en bonne et due forme: pour les 132 ans d’occupation, pour les terribles massacres de Sétif le 8 mai 1945. Les Algériens veulent aussi des excuses et des explications sur les disparus de la guerre entre 1954 et 1962. Ils parlent de 2200 disparus. Il voudrait enfin des excuses pour les essais nucléaires français dans le sud algérien dans les années 50. 

Attaquer la France... pour rassembler? 

L'Algérie réclame aussi des gestes. La France en a fait un premier, en rendant à l’Algérie 24 crânes conservés à Paris depuis près de 200 ans. C’est une histoire incroyable qui a eu un énorme retentissement ce week-end.

Ce sont les têtes des premiers résistants à l’invasion française dans les années 1830-1840: ces chefs de tribu se sont opposés à l’arrivée des premiers colons. À l’époque, ils avaient été arrêtés, fusillés puis décapités. Et les têtes de ces chefs rebelles avaient été envoyées à Paris comme des "trophées de guerre". Depuis, elles étaient dans les caves du Musée de l’Homme au Trocadéro, à Paris. 

Finalement, ces crânes ont été rendus aux Algériens et ont reçu ce week-end un accueil incroyable. Tous les bateaux du port d’Alger ont fait hurler leurs sirènes. Un défilé aérien a survolé la cérémonie. Les honneurs militaires ont été rendus aux 24 cercueils: le président algérien s’est longtemps incliné devant leurs passages, avant leur inhumation dimanche au cimetière des martyrs. 

Les Algériens voudraient aussi récupérer un canon qui gardait le port d’Alger depuis le 15ème siècle. Il avait même détruit une partie de la flotte de Charles Quint en 1541. Lorsque les Français ont pris Alger en 1830, ils ont confisqué le canon et l’ont ramené à Brest. Il y est toujours érigé comme une colonne avec un coq à son sommet.

Les Algériens voudraient aussi récupérer des documents de l’Etat civil d’avant la colonisation et que les derniers militaires français avaient emporté en quittant le pays. Des archives qui font partie de l’histoire algérienne et dorment quelque part à Paris. Tous ces dossiers restent hyper sensibles.

"Président cocaïne"

Presque 60 ans après l'indépendance, on a l’impression que rien n’est réglé les deux côtés de la Méditerranée. En France, on a un problème avec l’enseignement de l’histoire de cette période. Emmanuel Macron estime que l’on a "écrasé" les questions et que l’on n'a pas travaillé sur la "mémoire". Il aimerait bien être celui qui règle le problème, comme Chirac avait su reconnaître les responsabilités françaises dans la déportation des Juifs. 

Et côté algérien, s’en prendre à la France, c’est le meilleur moyen de rassembler, surtout en période de contestation. En effe: ce président, Abdelmadjid Tebboune, n’est élu que depuis 6 mois, mais il est déjà très impopulaire.

Il fait face aux manifestations de la jeunesse presque tous les vendredis. Les jeunes qui l’appellent le "président cocaïne". Parce que son fils est accusé d’avoir importé 700 kilos de cocaïne. Emprisonné, il a été finalement acquitté et relâché juste après l'élection de son père. 

Bref, tout ça pour dire que ceux qui demandent aujourd’hui des excuses à la France, ne sont pas des enfants de chœur, ni des démocrates. Ce sont les représentants d’un régime militaire, autoritaire, et corrompu en place depuis 58 ans et premier responsable de la misère du pays. Ce n’est pas à ce régime que la France doit des excuses. C’est plutôt au peuple algérien et c’est aussi pour nous qu’il faudrait mieux connaître cette histoire. 

Nicolas Poincaré