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Les quartiers nord de Marseille sont le résultat de tous les ratés de la République

Philippe Pujol, ce mercredi dans les Grandes Gueules.

Philippe Pujol, ce mercredi dans les Grandes Gueules. - RMC

Le journaliste Philippe Pujol était l'invité des Grandes Gueules ce mercredi sur RMC pour présenter son La fabrique du monstre, 10 ans d'immersion dans les quartiers nord de Marseille, la zone la plus pauvre d'Europe.

Qui mieux que lui peut parler des quartiers nord de Marseille, lui qui s'y est immergé pendant 10 ans pour son travail de journaliste ? Philippe Pujol, reporter au quotidien La Marseillaise a même reçu le prestigieux prix Albert-Londres 2014 pour sa série de reportages "Quartier shit". Il était l'invité des Grandes Gueules sur RMC, à l'occasion de la sortie de son livre La fabrique du monstre, 10 ans d'immersion dans les quartiers nord de Marseille, la zone la plus pauvre d'Europe.

"Le minot préfère gagner de l'argent avec la drogue que faire le jihad"

C'est simple, pour Philippe Pujol, "les quartiers nord sont le résultat de tous les ratés de la République ces 50 dernières années". C'est en tout cas le fruit de "l'accumulation de toutes les radicalisations : délinquantes, de la misère, radicalisation politique avec une montée du FN, et radicalisation économique avec également un clientélisme à la limite de la corruption". Philippe Pujol cite aussi "la radicalisation religieuse" qui touche l'ensemble des quartiers populaires hexagonaux, mais qui "tout de même moindre à Marseille" qu'ailleurs. "Pourquoi cette montée du religieux est moindre à Marseille ? C'est d'abord lié à la forte identité marseillaise. Et puis parce que le minot de quartier préfère aller gagner un peu d'argent (dans le trafic de drogue) plutôt que d'aller faire le jihad".

Le trafic de drogue, ce fléau qui permet toutefois "à certaines familles de survivre", reconnaît Philippe Pujol, qui raconte cette anecdote pour illustrer l'importance prise par les trafics. "Quand il y a eu une descente de police à la Castellane, le réseau a été annihilé pendant un mois. Le mois d'après, il y a eu 40% d'impayés de loyers en plus".

"Le guetteur gagne 60 euros par jour mais dépense 40 euros pour fumer"

Philippe Pujol a interrogé à de nombreuses reprises des dealers pour ses reportages ou pour son livre. Ainsi, il sait que si "un guetteur gagne 60 euros par jour", il dépense également "40 euros par jour pour fumer" et doit se fournir chez le dealer pour qui il travaille. "Et on lui met également une pression pour qu'il ait les fringues de la réussite sociale. Donc il va dépenser les 20 euros qu'il lui reste". "On fabrique ainsi l'endettement des plus jeunes, et une fois endettés ils travaillent parfois même gratuitement et ne peuvent plus s'en sortir".

L'argent "en liquide" qui abonde grâce aux trafics, ce sont quelques-uns haut placés qui vont en bénéficier. Celui qui est en haut de la pyramide "touche de 8 à 20.000 euros par semaine". "Mais ça leur coute très cher en frais d'avocat et en cavale. Pas pour échapper aux flics, mais à la concurrence (sic), donc ils doivent vivre dans des hôtels de luxe parce qu'ils sont vidéo surveillés". Au-delà des risques pour leur vie, "ils ont une belle vie et à quelques exceptions près ils meurent à moins de 40 ans". "Pour tous ceux qui sont dans les réseaux, leur rêve c'est le mythe Scarface, devenir le cador", explique Philippe Pujol.

"95% des gens veulent s'en sortir normalement"

S'il ne fait pas d'angélisme à propos des quartiers nord, le journaliste refuse toutefois qu'on jette l'opprobre sur les habitants de ces quartiers. "A la louche, 95% des gens veulent s'en sortir normalement et seulement 5% sont pris dans la délinquance. A la Castellane, par exemple, il y a 8.000 habitants dont 2.000 jeunes, et au maximum il y a 200 jeunes qui travaillent dans la drogue sur une année. Et il n'y en aura qu'une vingtaine là-dedans qui feront carrière". S'il "ne faut pas nier la présence des réseaux de stupéfiants", Philippe Pujol assure que "ce qui fait vivre les quartiers nord, c'est d'abord une réelle volonté de s'en sortir d'une grande partie des habitants, et la forte présence de l'associatif".

Philippe Gril avec les GG