Poker, paris, loto, casino... Le record historique des bénéfices des opérateurs est-il inquiétant?

Des records astronomiques... et un gouffre pour certains Français. Poker, paris sportifs, grattages, Loto, Euromillions... Les jeux d'argent battent des records en France, générant 13.4 milliards d'euros en 2023 (+3.5% par rapport à 2022), un record historique. Tous les types de jeux voient leur produit brut - la différence entre les mises des joueurs et les gains reversés par les opérateurs - progresser selon les chiffres de l'Autorité nationale des jeux (ANJ).
La hausse est particulièrement marquée pour les casinos et les jeux en ligne, notamment le poker. Et les opérateurs titulaires de droits exclusifs -La Française des Jeux et le PMU- représentent toujours plus de la moitié de l’activité.
Du côté des paris sportifs, les bénéfices augmentent de 6% avec deux disciplines qui se distinguent particulièrement par les montants de mises engagés: le football (4.4 milliards d’euros de mises), le tennis (près de 2 milliards).
"C'est le symptôme d'une société qui va mal"
Au total, 3.6 millions de personnes ont joué de l’argent en ligne en 2023 en France. La Française des Jeux a quant à elle comptabilisé pas moins de 27 millions de joueurs l’an passé, en comptant les ventes physiques.
Il y a également de plus en plus de monde dans les casinos. Ces derniers enregistrent un bénéfice record de 2.7 milliards, en hausse de 8,1%, provenant à plus de 80% des machines à sous.
"C'est le symptôme d'une société qui va mal si on ne voit comme seule issue le fait de gagner de manière miraculeuse à un jeu", note le chroniqueur Thierry Moreau dans Estelle Midi, qui regrette surtout la facile accessibilité des jeux d'argent en ligne.
De forts résultats alors même qu'on a eu une année 2023 plutôt pauvre en grands événements sportifs. L'ANJ s'inquiète donc et met en garde pour cette année 2024 alors que l'Euro de football et les Jeux olympiques arrivent prochainement.
Le risque d'addiction est suivi de près par l'ANJ qui régule le secteur. "On appelle à une particulière vigilance sur les pratiques des joueurs. Le nombre de points de contact (mails, notification pushs, publicités...) est par exemple limité", explique Guillaume Laborderie, directeur marché innovation à l'ANJ.
"Plus une société est confrontée aux inégalités et à la précarité, plus le jeu prend une part importante dans la société", note le syndicaliste Benjamin Amar, chroniqueur d'Estelle Midi, se remémorant un voyage en Bulgarie où "les casinos étaient partout".
"C'est une vie qui n'est pas sympa, et je ne la souhaite à personne", témoigne un ex-addict au jeu
Marie, buraliste, ressent aussi cette augmentation de l'excitation liée aux jeux d'argent dans son établissement. Un ressenti qui se traduit aussi dans les chiffres: "J'ai 200.000 euros de chiffre d'affaires en plus par rapport à l'année dernière au niveau du PMU (courses hippiques)", illustre-t-elle dans Estelle Midi.
"Cela peut devenir vite un problème dans la vie de tous les jours", témoigne de son côté Nicolas, commercial à Fréjus (Var). "On peut virer très mal, et je suis passé près de beaucoup de choses", alerte-t-il, expliquant qu'il est "tombé dedans" dès son jeune âge, emmené aux courses hippiques par son oncle à 12 ans.
"Ils ont toujours su jouer 2 euros par ci par là. Moi, par contre, j'ai vrillé", reconnaît-il.
Il a donc un message de prévention: "Je veux juste dire aux jeunes de faire très attention; (...) On ne peut jamais dire qu'on est guéri. C'est ça le drame. Dans l'addiction, il y a un cycle. On s'en sort un moment, et on y re-rentre. C'est une vie qui n'est pas sympa et je ne la souhaite à personne".
"Si j'avais pu remonter le temps, je l'aurais fait et j'aurais changé ce qui s'est passé dans la mienne car j'ai failli perdre ma femme, mon travail... J'espère que les jeunes ne prendront pas ça pour un jeu, car ça n'en est pas un", conclut-il.