"Infaisable" ou "alerte": faut-il créer un droit de retrait au travail lorsqu'il fait plus de 33°C?

Alerte à la chaleur sur toute la France. Depuis plusieurs jours, le mercure dépasse allégrement les 30°C sur une bonne partie du pays. Une situation particulièrement difficile pour les employés qui travaillent en extérieur. Selon l'institut national de recherche et de sécurité (INRS), au-delà des 33°C, les risques d'accident de travail sont accrus.
C'est sur cette base que 23 députés écologistes ont proposé, ce mercredi, une modification du Code du travail afin d'inscrire un droit de retrait en cas de chaleurs trop importantes, dépassant ce seuil de 33°C, au sein d'un plan d'urgence pour s'adapter au changement climatique.
Une alerte destinée aux salariés et aux entreprises
Invitée d'"Apolline Matin" sur RMC et RMC Story, la présidente du groupe écologiste à l'Assemblée nationale Cyrielle Chatelain souhaite, avec cette proposition, avoir "l'égalité des droits" entre les travailleurs.
"La loi doit garantir l'égalité des travailleurs et amener tous les employeurs à se dire que la chaleur peut tuer et qu'il faut des adaptations partout. Est-ce qu'on ne peut pas mettre un (chantier) en pause pour ne pas mettre en danger les gens? C'est un débat qu'on souhaite poser", explique la députée.
Aujourd'hui, un droit de retrait du salarié existe en cas de "danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé". Celui-ci inclut la chaleur, mais sans précision de température, ainsi que les températures trop froides. Mais cette proposition consiste, aux yeux de la députée, en une alerte.
Article L4131-1 du Code du Travail :
Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.
Il peut se retirer d'une telle situation.
L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection.
Si certains travailleurs ne voient pas l'impact immédiat de telles chaleurs, Cyrielle Chatelain veut les alerter sur les conséquences à long terme de l'exposition aux fortes chaleurs, allant jusqu'à la mort: "Notre rôle est de dire 'attention, vous ne voyez pas l'impact immédiat mais l'été prochain sera encore plus difficile et peut-être dans cinq ou dix ans, vous allez commencer à développer des pathologies liées aux conditions de travail qui étaient les vôtres'."
"Il faut qu'on adapte notre droit avant d'avoir trop de morts. On a 33.000 morts, chaque année, de décès prématurés entre fin juin et fin septembre", explique la parlementaire.
BTP, agriculture... une proposition qui ne fait pas l'unanimité
A Aubais (Gard), le thermomètre va dépasser, ce jeudi, les 34°C d'après Météo-France. Robin travaille dans une entreprise familiale de travaux publics, Gaussent TP, située dans cette ville. Depuis quelques jours, il consomme en moyenne quatre litres d’eau sur le chantier. Pour lui, cette proposition vient d'une bonne intention et apporte "un côté protection", "si jamais on sent qu'on en a le besoin", même si elle n'est pas réaliste.
"Si chaque jour on atteint 33°C, ça signifie qu'on devrait s'arrêter à chaque fois et ça me paraît infaisable".
Un constat partagé par Corinne Jimenez, co-dirigeante de cette entreprise familiale, qui estime qu'on "ne peut pas faire des chantiers de quatre heures par jour, ce n'est pas possible": "Ça me fait un peu rigoler. 33°C, c'est normal et ça fait partie de notre job".
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Dans le monde agricole, la pertinence d'un tel dispositif fait débat. La porte-parole de la Confédération paysanne, Laurence Marandola, estime que si "se soucier du bien-être et des conditions de travail" est une chose qui lui paraît importante, la proposition de droit de retrait pourrait compliquer la vie dans les exploitations.
"Ça pourrait être très difficile pour beaucoup dans le secteur agricole. Il y a de vraies contraintes. Il y a des tâches, des récoltes, des moissons, qui n'attendent pas."
Pour elle, "la bonne formule" serait "d'améliorer le droit du travail sur les horaires de travail, sur les conditions d'accès à des pauses, à des espaces plus frais, pour faire que ce soit moins pénible lorsqu'on est face à des températures extrêmes".
Un droit de retrait mal vu
Les syndicats du BTP semblent aussi perplexes, d’autant que le droit de retrait déjà existant est plutôt mal vu dans la profession. "Le retrait est souvent à l'initiative des encadrants et des employeurs, quand il fait très chaud, vers 40°C" explique Frédéric Mau, secrétaire fédéral de la CGT construction. Il ajoute qu'il est "rarement à l'initiative du salarié, parce que derrière ils sont un peu blacklistés". "C'est un droit qui existe mais qui n'est pas utilisé".
Un droit préexistant, qui "part d'une bonne intention de circonstance mais (qui) n'est pas nécessaire", c'est aussi l'avis de maitre Eric Rocheblave, avocat spécialiste du droit du travail attaché au barreau de Montpellier: "Pour moi, il n'est pas nécessaire de rajouter une précision pour la canicule".
"C'est du législatif pour du législatif. Si dès 33°C tout le monde peut faire un droit de retrait, ça va être compliqué dans les entreprises", juge l'avocat.
Actuellement, en cas de forte chaleur, les employeurs ont l’obligation de fournir au minimum trois litres d’eau potable et fraîche par travailleur et par jour.