RMC

"Expliquez-nous": la Chine pratique-t-elle des stérilisations forcées parmi les Ouïghours ?

La chine est accusée de pratiquer des stérilisations forcées parmi les Ouïghours, une minorité musulmane qui vit dans le nord ouest du pays. Un rapport publié lundi démontre une forte baisse de la natalité dans la région.

C’est un rapport effrayant. Pour la première fois, on a des chiffres sur cette politique de réduction de naissance que la Chine mène contre les Ouïghours. Le taux de croissance de la population n’est plus que d'un pour mille en 2019, contre 11 pour mille en 2018 soit dix fois moins. Et dans les deux principales préfectures de la région, le taux de croissance a baissé de 84%. C’était l’objectif de Pékin: faire baisser drastiquement le nombre d’enfants chez les musulmans ouïghours pour qu’ils deviennent minoritaires dans leur propre région. 

Pour cela, les Chinois procèdent avec une grande efficacité et avec plusieurs méthodes: une politique de stérilisations, définitives le plus souvent, une politique de contraception imposée, c’est-à-dire la pose de stérilet, ou encore par une méthode radicale: en séparant les époux. Par l’enfermement dans des camps des maris, ou des femmes ou des deux. Dans les camps de femmes, une majorité d’entre elles sont détenues pour avoir violé la loi sur la natalité, c’est-à-dire pour avoir eu trop d’enfants. 

Que prévoit cette loi sur la natalité? 

Elle prévoit qu’un couple a le droit d’avoir deux enfants, s’il vit en ville, et trois s’il est à la campagne. Jusqu’en 2015, cette loi était peu respecté, même parmi les apparatchiks du Parti communiste, et les parents ne risquaient qu’une amende s’ils faisaient trop d’enfants. Mais depuis juin 2017, les choses ont changé et ça ne rigole plus. La presse officielle dénonce comme un crime le fait de violer la loi sur la natalité. 

Les autorités appellent à gagner “la bataille contre les naissances illégales”. Des directives sont publiées pour indiquer que les mères de familles nombreuses doivent suivre des programmes d’éducation et de formation professionnels. Dis comme cela, ça n’a pas l’air méchant sauf qu’en Chine, tout le monde comprend. Les centres d'éducation et de formation professionnelle, c’est le nom officiel... des camps de travail. 

Une directive demande de sanctionner les femmes qui refusent de mettre un terme à une grossesse illégale, autrement dit qui refuse d’avorter. 

Qui sont les auteurs de ce rapport?

C’est un chercheur allemand, Adrien Zenz, grand spécialiste des minorités chinoises. Son travail est publié par une fondation américaine La “Jamestown Foundation”, connue pour son engagement contre le communisme. On peut donc se dire qu’il s’agit d’un travail orienté. Et c’est d’ailleurs ce qui permet à Pékin de rejeter en bloc toutes ces accusations.

Sauf que la source principale du chercheur allemand, ce sont des documents administratifs et officiels chinois. Tous les chiffres que je viens de vous donner, sont fournis par les autorités sanitaires locales, par les préfectures par le ministère de la Santé. Des documents incontestables qui évoquent l’objectif: stériliser entre 14 et 24% des femmes en âge de procréer. Ou bien des directives pour promouvoir les mesures de contrôle de naissance avec “efficacité à long terme”. En langage bureaucratique du Parti communiste, cela veut dire une stérilisation définitive. Et le plus effrayant, c’est que tout est écrit.

Les Américains et les Européens ont réagi à la publication de ce rapport. Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a appelé le Parti communiste chinois à cesser immédiatement ces pratiques horribles. Et le Sénat américain voté à l’unanimité une loi permettant des poursuites pénales contre les responsables chinois.

L’Union européenne demande de son côté que l’on envoie sur place des observateurs indépendants. Cela a surtout le mérite de braquer le projecteur sur cette province opprimé, et sur la minorité Ouïghours, ces Chinois musulmans qui parlent turc. 

Pékin a construit dans la région 150 camps, des goulags du 21eme siècle. Amnesty International estime qu’un million de prisonniers y sont détenus. Pékin affirme qu’il s’agit de camps de formation professionnelle et de déradicalisation.

Des prisonniers libérés ont décrit une tout autre réalité: des privations, des punitions à l'électricité, l’obligation pour ces musulmans de manger du porc. L’interdiction de prier ou de parler une autre langue que le mandarin. Et récemment des images sont sortis, montrant d’immense dortoirs avec des centaines d’enfants dormant par terre.

Nicolas Poincaré