Réduction des visas pour les pays du Maghreb: comment en est-on arrivé là?

Illustration - Bulent Kavakkoru - Wikimedia - CC
La France a décidé de taper du poing sur la table, très fort, pour réagir à la quasi impossibilité d’expulser les clandestins vers les pays du Maghreb. Lorsqu’un sans papier est interpellé en situation irrégulière, il lui est délivré une obligation de quitter le territoire français (une OQTF) et il est le plus souvent placé dans un centre de rétention administrative où il peut être enfermé 45 jours, ou 90 dans certains cas. Dans ce temps-là, l’administration française demande au pays d’origine de délivrer un laissez-passer consulaire. C'est à dire d’accepter le rapatriement.
Et ce que l’on a appris mardi, c’est que le Maroc, l'Algérie et la Tunisie ne délivrent pas ces laissez-passer. Sur 14.456 demandes depuis le début de l’année, seules 233 ont fait l’objet d’une réponse positive. C’est 1,6%.
Dans le détail, c’est l'Algérie qui s’oppose le plus aux rapatriements. Sur plus de 7.000 obligations de quitter le territoire prononcées, 22 seulement ont abouti à des expulsions.
D'ailleurs, le ministère algérien des Affaires étrangères a convoqué mercredi l'ambassadeur de France en Algérie pour protester contre la décision de Paris.
L'ambassadeur, François Gouyette, s'est vu notifier "une protestation formelle du gouvernement algérien suite à une décision unilatérale du gouvernement français affectant la qualité et la fluidité de la circulation des ressortissants algériens à destination de la France", a précisé le ministère dans un communiqué.
Comment l'expliquer?
D’abord par la mauvaise volonté évidente des autorités de ces trois pays qui trainent des pieds et jouent la montre pour ne pas déplaire à leur opinion publique. En Algérie ou au Maroc, il est extrêmement mal vu de collaborer avec les autorités françaises sur la question des expulsions. C’est la première explication.
Mais il faut aussi comprendre que les clandestins arrêtés sans papiers en France donnent souvent des identités fantaisistes. Faux noms, fausses dates de naissance, fausses adresses: pour brouiller les cartes, gagner du temps et éviter l’expulsion, un Algérien peut se déclarer Marocain, ou bien l’inverse. Dans ces cas-là, si les laissez passer consulaire ne sont pas délivrés, c’est que les pays d’origine n’ont pas retrouvé la trace de la personne qu’on leur demande d'accueillir.
Enfin, il y a une troisième explication: c’est le Covid-19. Pendant les six premiers mois de cette année, les frontières étaient fermées et les vols presque tous annulés entre la France et l'Algérie par exemple. Les expulsions étaient de fait quasiment impossibles. C’est aussi pour cela que l’on arrive a ce chiffre de 22 Algériens renvoyés chez eux sur plus de 7.000 qui aurait pu l'être…
Moitié moins de visas pour les Algériens et les Marocains
C’est ce qui est annoncé, mais en réalité, c’est beaucoup plus sévère encore… Parce que l’on se base sur le nombre de visas accordés au cours des six premiers mois de l’année 2020, une période, où l'on a connu les premières fermetures des frontières, à cause du Covid-19. Évidemment, comme il était difficile de venir en France, le nombre de visas accordés était en très forte baisse.
Concrètement pour l'Algérie on a distribué 63.000 visas début 2020. On en distribuera dans les six mois qui viennent 31.500… C’est la moitié mais en réalité c’est quatre fois moins qu’en 2019, avant le Covid. C’est effectivement drastique, pour reprendre l’expression du porte-parole du gouvernement.
Qui seront les plus pénalisés ?
Et bien ce sera la décision des consulats français. En Algérie il y en a trois à qui, pour la première fois on va demander de respecter des quotas. Les visas des étudiants et des travailleurs qualifiés réclamé par les employeurs français seront prioritaires. Les autres visas, courts ou longs, seront beaucoup plus difficiles à obtenir et notamment les visas de regroupement familial ou de visite à la famille.
Une décision à 7 mois de la présidentielle
Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. Ce tour de vis intervient évidemment au moment où commence la campagne électorale et ou elle commence justement en se polarisant sur les questions d’immigration.
On peut bien sûr y voir une décision opportuniste. Mais, il est vrai aussi que la tendance ne date pas d'hier. On est passé de 400.000 visas pour les Algériens en 2017 à 250.000 en 2019 et 120.000 en 2020. Le gouvernement peut faire remarquer qu’il n’a pas attendu Eric Zemmour pour réduire le nombre des visas accordés aux ressortissants du Maghreb.
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