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Sommet sur la crise migratoire: pourquoi la Turquie obtiendra tout ce qu'elle demandera

Les représentants des 28 Etats de l'Union européenne sont à Bruxelles jusqu'à ce soir pour tenter de trouver un accord avec la Turquie sur la crise des migrants. Mais, comme l'explique le chercheur François Gemenne pour RMC, c'est Ankara qui mène les négociations. Et qui a toutes les chances de voir ses exigences aboutir.

La Turquie pourrait voir ses vœux exaucés. Les 28 chefs d'Etat et de gouvernement européens se retrouvent jusqu'à ce vendredi soir à Bruxelles pour un nouveau sommet avec Ankara consacré à la crise des réfugiés. Objectif: trouver une "solution pérenne" permettant de juguler le flux de migrants.

"L'UE sous-traite le problème à la Turquie"

Le projet d'accord, discuté lors du précédent sommet, prévoit de renvoyer vers la Turquie tous les migrants, y compris les demandeurs d'asile syriens. Les Européens s'engageraient ainsi à "réinstaller" dans l'UE, pour chaque Syrien renvoyé en Turquie, un autre Syrien, dans la limite de 72.000 réfugiés.

"Ce qu'il se passe, c'est qu'on délocalise, analyse pour RMC François Gemenne, chercheur en sciences politiques à l'université de Liège et à Sciences-Po Paris. Comme l'Union européenne ne parvient pas à s'entendre pour trouver une réponse digne et acceptable à cette crise, elle se débarrasse du problème en le sous-traitant à la Turquie."

Les quatre exigences d'Ankara

En échange, Ankara, qui a déjà accueilli près de 3 millions de réfugiés, demande de nombreuses contreparties. D'abord, une augmentation de l'aide financière promise de 3 à 6 milliards d'euros. Ensuite, la libéralisation des visas pour les citoyens turcs. "C'est le point sur lequel le gouvernement Erdogan joue sa crédibilité, il le demande depuis des années. L'obtenir serait une grosse victoire." Ankara exige par ailleurs que l'UE ferme les yeux sur ses entorses aux droits de l'homme. Et enfin une reprise des négociations sur l'adhésion à l'UE.

Ces points soulèvent de nombreuses réserves. La France a déjà prévenu qu'elle ne fera à la Turquie "aucune concession en matière de droits de l'Homme ou de critères de libéralisation des visas". Angela Merkel a quant à elle affirmé que la question d'une entrée de la Turquie dans l'UE n'est toujours "pas à l'ordre du jour".

"Les Turcs ont toutes les cartes en main"

Mais selon le spécialiste des flux migratoires, Ankara a toutes les chances de voir ses requêtes aboutir. "Ce sont les Turcs qui ont toutes les cartes en main. Si l'Europe veut absolument se débarrasser du problème, ils peuvent demander à peu près n'importe quoi, ils l'obtiendront. Ils pourraient même demander que les dirigeants européens dansent tous nus sur la table de réunion, ils l'obtiendraient. L'Europe n'a absolument rien à dire, ce sont les Turcs qui vont décider des conditions de cet accord."

Mais selon le chercheur, d'autres solutions existent. "Ce serait que l'Europe délivre des visas humanitaires, comme le fait le Canada, pour permettre aux gens de venir en avion et non plus en bateau, c'est-à-dire pour qu'ils arrivent en vie. Ce qui permettrait de faire du problème non plus un problème européen et d'impliquer les autres pays, comme le Japon, l'Australie ou les Etats-Unis. Après tout, il n'y a pas de raison pour que l'Europe soit seule en charge du problème uniquement en raison de sa proximité géographique."

C.H.A.