RMC

Vladimir Poutine est-il mis en danger par l'affaire Navalny?

EXPLIQUEZ-NOUS - Le président russe fait face à un mouvement de contestation dirigé depuis sa prison par l’opposant Alexeï Navalny. Et si le "tsar" était en danger?

Plusieurs milliers de personnes ont été arrêtées dimanche en Russie lors de manifestations contre Vladimir Poutine. Ces manifestations sont directement liées au bras de fer incroyable entre deux hommes: Vladimir Poutine, 68 ans, l'homme fort de la Russie depuis 21 ans et Alexeï Navalny, 44 ans, victime d’une tentative d'empoisonnement en août dernier. En prison depuis son retour à Moscou il y a 15 jours.

Les deux hommes se défient à distance. Vladimir Poutine est le plus souvent dans sa résidence officielle de Sotchi au bord de la mer Noire ou bien dans une autre résidence à 30 km de Moscou. Il y a fait aménager deux bureaux absolument identiques pour que les télévisions russes puissent le montrer tous les jours au travail sans que l’on sache où il se trouve.

Navalny, lui, on sait très bien où il est: en prison à Moscou. Arrêté le 17 janvier. Le 21, il a publié un message très offensif sur Instagram. On lui a aussitôt retiré son téléphone et il a été placé à l’isolement sans plus aucun contact avec l'extérieur.

Dimanche, les manifestations en sa faveur ont été sévèrement réprimées. On estime à 4800 le nombre de manifestants arrêtés qui risquent maintenant de lourdes peines de prison. La femme d’Alexei Navalny a été interpellée, son frère aussi. 85 journalistes également. Il y a eu des cortèges dans au moins 25 villes de Russie, pas seulement à Moscou, les manifestants étaient souvent très jeunes, mobilisés sur TikTok. Mais ce qui a frappé les observateurs, c’est que le slogan que l’on entendait le plus, ce n’était pas "Libérez Navalny”, mais “Poutine, voleur”.

Un documentaire sur le "Versailles" de Poutine

Ce mouvement, c’est d’abord le signe d’un ras-le-bol de la corruption. D’ailleurs Navalny n’est pas un politique, il n’est pas élu, ni candidat, c’est le directeur d’un institut privé, la fondation anti-corruption. C’est son combat depuis des années.

Et il vient de marquer un grand coup avec la diffusion d’un film sur le palais de Poutine. C’est en quelque sorte le “Versailles” de Poutine. Un gigantesque domaine de 7000 hectares au bord de la mer noire. 

Au centre, un château de 17.000 mètres carrés habitables. Deux héliports, un terrain de hockey sur glace enterré sous une colline, un casino privé, une église, un théâtre, 300 hectares de vignes. Le tout construit par un architecte italien qui avait déjà construit un somptueux palais pour Silvio Berlusconi. Poutine avait été reçu par Berlusconi en Italie et il avait ensuite commandé le même palais, en trois fois plus grand.

Ce château, on le connaissait. Il avait déjà fait l’objet de reportages depuis des années dans la presse étrangère, mais jamais avec autant de détails. Le 19 janvier, deux jours après son arrestation, Navalny a publié sur Youtube un documentaire d’1h50 dans lequel il présente lui-même les images, les factures, les témoignages. Documentaire qui totalise 105 millions de vues.

Et pour la première fois, Vladimir Poutine a dû répondre. Jusqu'à présent, il avait toujours traité par le mépris toutes les attaques d’Alexei Navalny. Le nom de l’opposant n’était pas exemple jamais cité dans les médias proches du pouvoir.

>> A LIRE AUSSI - Pourquoi l'opposant russe Alexeï Navalny a-t-il été arrêté lors de son retour à Moscou?

Mais cette fois, Poutine a senti que cette affaire pouvait déclencher la colère des Russes. Alors il a démenti être propriétaire des lieux. Les télévisions d’état ont dénigré le documentaire, et finalement, vendredi, un des amis d’enfance de Poutine, le milliardaire Arkady Rotenberg a annoncé que c’était lui le propriétaire. Sauf qu’il n’a pas expliqué pourquoi cette propriété était gardée par le FSO, le service de protection du Kremlin. Cette affaire du palais de Poutine est loin d'être terminée.

En attendant, Alexei Navalny doit être jugé mardi. Il risque deux ans et demi de prison pour n’avoir pas respecté son contrôle judiciaire lorsqu’il est allé se faire soigner en Allemagne. Mais en réalité, il risque beaucoup plus, les poursuites pourraient s’accumuler parce qu'il a provoqué Poutine sur la question ultra-sensible de sa fortune. Et il a provoqué les services secrets en piégeant et en humiliant les agents de l’Ex-KGB qui ont tenté l’empoisonner. Il risque de le payer très cher. Et on comprend qu’il a fait preuve de beaucoup de courage en rentrant en Russie.

Nicolas Poincaré