Abbé Pierre: deux femmes assurent que leur mère a subi des "abus sexuels" en échange d'un appartement

L'Abbé Pierre, le 5 décembre 1987 à Saint-Wandrille, en Seine-Maritime - Mychele DANIAU
De nouvelles accusations posthumes. Les deux filles d'une femme, aujourd'hui décédée, racontent les abus sexuels qu'elle disait avoir subi de la part de l'abbé Pierre il y a plus de 30 ans. Leur témoignage a été recueilli anonymement par France Télévisions.
Les deux jeunes femmes apprennent soudainement en 2019 que leur mère avait envoyé une lettre à la Commission sur les abus sexuels dans l'Église dans laquelle elle disait avoir subi des abus de la part de l'abbé Pierre, soit bien avant que plusieurs femmes n'accusent publiquement l'homme de foi de violences sexuelles.
La Commission a lu à cette époque auprès des jeunes femmes le courrier transmis par leur mère et qu'elles ont choisi de rendre public aujourd'hui, alors que les témoignages dénonçant le comportement de l'abbé Pierre se multiplient.
Elle dénonce des "abus" survenus en 1989 et 1990
"Je tiens, après tant d'années de silence, à dénoncer les abus sexuels que j'ai subis en 1989 et 1990 de la part de l'abbé Pierre aujourd'hui décédé", dit la mère de famille dans sa lettre.
Elle affirme dans son courrier être arrivée, âgée de 33 ans, en France en 1989 depuis le Canada, fuyant un mari violent. Sans ressource, elle ne reçoit aucune aide de sa famille qui, parce que catholique, n'accepte pas sa séparation d'avec son époux.
L'une de ses filles explique que sa mère connaît "personnellement" l'abbé Pierre, alors âgé de 77 ans, et indique que naturellement, elle choisit donc de se tourner vers lui.
Un appartement fourni avec une "contrepartie sexuelle"
"Il a voulu l'aider, mais avec une contrepartie, et cette contrepartie, on le sait dans la lettre, c'est une contrepartie sexuelle", assure la jeune femme auprès de France Télévisions.
"Il m'emmenait dans un appartement parisien, dont il avait la clé, pour passer des nuits avec lui", où il abusait d'elle, assure la mère de famille.
"Il se masturbait devait moi, me demandait de lui faire des fellations, il me fouettait avec sa ceinture et m'a proposé d'avoir une relation avec une jeune femme qu'il connaissait", détaille-t-elle ensuite.
Une femme restée "traumatisée"
Pour les deux filles, cette lettre constitue une déflagration. "On était abasourdies", dit l'une, "quelle horreur", s'exclame une autre.
"On était très tristes pour notre maman", déclare l'une des jeunes femmes, après avoir appris ce qu'a enduré leur mère en silence.
Pour elles, ces abus ont "traumatisé" leur mère "toute sa vie". "Elle a eu des périodes dépressives" que l'une de ses filles attribue au moins en partie à ce qu'elle dit avoir subi de la part de l'abbé Pierre.
"Jamais trop tard pour dénoncer"
La mère assure dans sa lettre que ces abus lui laissent, encore des années après, un sentiment de "honte" et de "souffrance". "Ma confiance dans l'Église a été trahie", dénonce-t-elle.
"Je suis choquée que l'abbé Pierre passe pour un saint, alors que je l'ai connu uniquement sous sa nature d'obsédé sexuel et de pervers", affirme-t-elle encore.
Pour les deux femmes, l'image publique très positive de l'abbé Pierre explique probablement que leur mère ait mis beaucoup de temps avant de dénoncer ce qu'elle avait subi. Elles-mêmes disent ne pas avoir réussi à parler plus tôt par peur de ne pas être crues.
"Le fait qu'il y ait eu plusieurs témoignages, c'est un peu l'union fait la force, ça libère la parole", expliquent-elles. "Enfin, ça se sait", saluent-elles aujourd'hui. "Il n'est jamais trop tard pour dénoncer des faits, même s'ils ne sont pas forcément punis, même si la personne est décédée", veulent-elles croire.
Les archives de l'Église bientôt rendues publiques
Les deux filles espèrent désormais que toutes les rues, places ou établissements scolaires portant son nom seront débaptisés, alors que le processus a déjà commencé localement. "Ce n'est pas un saint, c'est un pervers", justifient-elles.
Mort en 2007 à l'âge de 94 ans, l'abbé Pierre est accusé par plus de 20 femmes de violences sexuelles. De premières révélations voient le jour en juillet dernier, avant que de nouvelles surviennent début septembre. Les faits supposés seraient survenus des années 1950 aux années 2000.
La Conférence des évêques de France (CEF) a dit son "effroi" après les nouvelles accusations de violences sexuelles visant l'abbé Pierre et a assuré ouvrir ses archives aux chercheurs avant le délai de 30 ans habituel.