RMC
Faits divers
Exclusivité

Affaire Le Scouarnec: "Le plus traumatisant, c’est la teneur de mes écrits, pas la réalité des faits", assure le pédocriminel

placeholder video
EXCLU RMC. Le chirurgien Joël Le Scouarnec est soupçonné d’avoir violé et agressé sexuellement plus de 300 patients. La plupart étaient des enfants, parfois des nourrissons. Déjà condamné à 15 ans de prison pour des viols sur quatre victimes en 2020, le pédocriminel de 72 ans, qui tenait des journaux intimes de ses crimes et délits, est actuellement mis en examen pour 297 victimes dans un deuxième volet et RMC a eu accès à l’ensemble de ses interrogatoires. 

Joël Le Scouarnec a répondu aux questions de la même juge d’instruction, assistée de la même greffière au palais de justice de Lorient, pendant six mois entre janvier et juin 2022. 19 jours d’interrogatoires, des dizaines et dizaines d’heures pour revenir sur les 312 victimes imputées au chirurgien entre 1986 et 2014 grâce à ses propres écrits, des tableaux et des journaux intimes. Car Joël Le Scouarnec notait tout: les noms prénoms et dates de naissance de chacune de ses victimes avec le récit des agressions ou des viols imposées. RMC révèle ce lundi le contenu de ces interrogatoires, alors que le chirurgien de 72 ans est mis en examen pour 297 victimes, après sa condamnation à 15 ans de prison pour des viols sur quatre victimes en 2020.

Confronté au nombre de victimes, Joël Le Scouarnec a invoqué une amnésie. Dès le premier interrogatoire le 31 janvier 2022 il a déclaré: "Cette liste que vous m’avez montrée, je l’avais complètement oubliée". Il s’est déclaré "surpris par l’ampleur": "Jamais je n’aurais pu imaginer un si grand nombre". Joël Le Scouarnec n’a pas d’explications. Il a déclaré à la juge d’instruction que les patients et donc ses victimes "ne faisaient que passer" avant d’ajouter: "Je comprends que ce soit frustrant pour certains d’entre eux".

Une absence de souvenirs comme "stratégie de défense"

La magistrate a procédé de manière méthodique, par ordre chronologique et par victime. Pendant six mois, elle a débuté chaque interrogatoire de la même manière. Elle confronte d’abord Joël Le Scouarnec à ses écrits, elle lui présente des photos des victimes quand elle en a. Le chirurgien ne reconnait jamais aucun visage. Et il affirme n’avoir aucun souvenir. 

Pourtant, Joël Le Scouarnec a expliqué qu’il relisait ses journaux intimes chaque année soi-disant "pour corriger ses fautes d’orthographes". Même s’il l’assure, il n’a jamais envisagé de publier ou de faire lire ses carnets. Il admet qu’il les relisait parfois plus ponctuellement pour se masturber. Le chirurgien conservait ses archives personnelles en double sur deux disques durs. Ces données étaient "précieuses", il ne voulait pas prendre le risque de les perdre.

Un psychiatre qui l’a expertisé il y a deux ans estime que "les détails qu’il livre sur ses agissements démontre bien qu’il les a toujours en mémoire et qu’il les revit en les décrivant".

Un psychologue clinicien qui l’a rencontré pour une expertise en novembre 2021 voit derrière cette amnésie une "stratégie de défense", une "manipulation", une "négation de l’altérité de chaque victime" qui le conduit à "globaliser l’ensemble des victimes" pour "n’avouer que le schéma du scénario global des actes reprochés."

Joël Le Scouarnec s’est dit "envahi par cette perversion de la pédophilie"

Ces interrogatoires permettent d’établir un mode opératoire, celui d’un prédateur qui saisit chaque opportunité pour s’en prendre à ses patients, le plus souvent quand ils sont endormis ou sous anesthésie. Joël Le Scouarnec se dit également "capable de prendre tous les risques". "Je rentrais dans la chambre, si l’enfant est seul ça se passe", explique-t-il à la juge d’instruction. Il suffit parfois que "l’infirmière ait le dos tourné".

"Il fallait que je le fasse" a expliqué Joel Le Scouarnec comme un leitmotiv à de nombreuses reprises. Le chirurgien se croit intouchable, un sentiment d’impunité renforcé en 2005 après sa condamnation à quatre mois de prison de sursis sans injonction de soin pour détention d’images pédopornographiques.

"Je n’avais aucune raison de me remettre en question", explique Joël Le Scouarnec qui sévit même en salle d’opération: "Personne ne pouvait remarquer ou être offusqué que je pose ma main sur cet endroit du champ opératoire. Dans le cadre d’une appendicectomie, le bas ventre est caché par le champ opératoire".

La juge d’instruction émet également l’hypothèse qu’il ait pu présenter oralement certaines agressions comme "relevant d’un examen médical". Elle finit par lui demander s’il a agi ainsi "pour tous les enfants qu’il a pu voir dénudés dans le cadre professionnel?". Joël Le Scouarnec acquiesce. Il explique qu’il était "totalement envahi par cette perversion de la pédophilie", "complètement tyrannisé".

"Les gestes de nature sexuelle étaient dans ma tête"

Pourtant, Joel Le Scouarnec ne reconnait pas tous les faits. Au début de la série d’interrogatoires, Joël le Scouarnec avait annoncé: "A partir du moment où je l’ai écrit, vraisemblablement je l’ai fait" mais ce n’est pas aussi tranché. Au fil des auditions, il conteste certains faits, il refuse par exemple de reconnaître des viols sur de jeunes enfants qu’il a pourtant retranscrits en détails.

Celui qui brave tous les interdits, l’inceste - il a déjà été condamné pour des viols sur deux de ses nièces - la pédocriminalité, se défend d’avoir jamais utilisé la force et la violence physique.

"Je ne voulais pas blesser physiquement un enfant", affirme-t-il à de nombreuses reprises. Il conteste par exemple avec vigueur la plainte spontanée d’une jeune femme qui a dénoncé un viol pendant son hospitalisation enfant. Joël Le Scouarnec l’accuse même de "vouloir l’enfoncer davantage".

Dès qu’il le peut, Joel Le Scouarnec se retranche derrière l’exercice médical. "Les gestes de nature sexuelle étaient dans ma tête" assure le chirurgien qui joue sur la frontière entre le réel et le fantasme et assure le 13 mai dans le bureau de la juge d’instruction qu’il n’a "jamais posé une indication opératoire en fonction de sa perversion".

Confronté à la colère d’un garçon qui a subi une opération du prépuce et apprend par les gendarmes qu’il a été victime d’une agression sexuelle à cette occasion, Joël Le Scouarnec se défausse sur ses écrits. "Je prenais plaisir à en rajouter sur mon ressenti lors de l’écriture de mon journal" assure-t-il. Le chirurgien veut garder la main, être le seul à pouvoir décrypter ses écrits pour que sa vérité soit "rétablie".

"C’est la lecture de mes écrits qui sont répugnants"

Joël Le Scouarnec se cache derrière ses écrits. Pour lui, "de façon globale, le plus traumatisant, c’est la teneur de mes écrits (…) ce n’est pas la réalité des faits". Il le dit à de multiples reprises en mars, en avril: "C’est la lecture de mes écrits qui sont répugnants". Pourtant, pas une seule fois, Joel Le Scouarnec ne va interrompre la juge d’instruction comme s’il éprouvait une certaine satisfaction à la lecture de ses crimes et délits. 

A la reprise des interrogatoires, le chirurgien se fend souvent d’un commentaire spontané, certaines victimes déjà évoquées lui restent en tête. Une petite fille, un petit garçon. "Penser que j’ai pu entrer dans la chambre d’un enfant de 6 ans", explique Joël Le Scouarnec à la juge.

Le mercredi 2 février, il explique : "J’ai pensé ce week-end à plusieurs reprises au fait que je me félicite qu’en une seule journée, j’ai pu abuser quatre enfants. Il fallait vraiment avoir perdu tout sens moral pour se féliciter d’une telle chose".

Même chose, deux mois plus tard, le lundi 4 avril. "Depuis le dernier interrogatoire, j’ai passé deux jours un peu difficiles ne cessant de me rappeler le cas de cette petite fille que j’ai harcelée, vraiment c’est terrible".

Pourtant, quand il est confronté aux expertises psychiatriques de ses victimes (troubles sexuels, blocage, anxiété, dépression), Joël Le Scouarnec s’emporte: "De façon générale je suis prêt à assumer les conséquences directes des actes que j’ai commis, explique-t-il. Mais je ne veux pas être considéré responsables de tous les problèmes des victimes de mes actes."

Confronté au suicide d’une victime en 2020, deux ans après la révélation des faits, Joel Le Scouarnec ne veut pas être tenu coupable de son décès. Sa compassion est à géométrie variable. Une petite fille de 11 ans qu’il a agressée sept fois en 1999 a le droit à ses excuses. Il en accuse une autre d’exagérer et de tenir des propos ridicules. La greffière mentionne à quelques reprises que Joël le Scouarnec pleure, ses avocats Me Thibaut Kurzawa et Maxime Tessier qui se relaient à ses côtés soulignent son émotion. "Si j’étais encore l’homme qui apparait dans mes écrits, je n’en souffrirais pas", affirme le chirurgien le 14 mars 2022. 

Joel Le Scouarnec affirme qu’il a changé 

Lors de son dernier interrogatoire, le 17 juin 2022, Joël le Scouarnec a déploré un "gigantesque gâchis" pour ses victimes, et pour lui. Il explique qu’il se sent libéré depuis qu’il est incarcéré, il parle d’une "vraie libération psychique" et il assure qu’il a changé. "A quoi bon les réflexions que j’ai pu faire seul avec moi-même en cellule, à quoi bon les entretiens avec les psychologues de la prison si ces échanges ne m’apportent pas une remise en question sur ce que j’ai été. Je ne veux plus être cet homme-là et je ne le suis plus". Trois mois plus tôt il avait déclaré: "Je ne veux pas aujourd’hui qu’on me réduise à mes actes".

Joël Le Scouarnec est intelligent, estime le psychologue qui l’a expertisé en août 2021, ce qui peut être "aussi bien un atout pour tirer bénéfice de sa psychothérapie mais aussi un problème dans la mesure où il peut être difficile pour l’interlocuteur de distinguer de pseudo progrès de surface d’une authentique évolution dans le fonctionnement de la personnalité de Joël Le Scouarnec."

Aujourd’hui, le chirurgien garde le pouvoir sur ses victimes comme lorsqu’elles étaient ses patients. C’est lui qui donne encore le tempo. Le chirurgien ne cesse de dire qu’il veut un procès pour s’expliquer.

"Je leur dois de les écouter, de les entendre et de leur répondre, assure Joël Le Scouarnec. Je voudrais m'adresser individuellement à chacune de ces femmes et chacun de ces hommes chez qui j'ai commis des actes odieux pour leur présenter mes excuses. Je voudrais qu'à l'issue de mon procès, ils puissent retrouver un peu de la sérénité que je leur ai volée."

Pourtant, il continue de jouer la montre et de retarder l’échéance. Alors que l’instruction est bientôt terminée, les avocats de Joël le Scouarnec ont déposé un pourvoi en cassation pour contester une soixantaine de victimes au titre de la prescription. Ce qui ne change rien à la peine encourue, qui reste de 20 ans de prison.

Marion Dubreuil (édité par L.K.)