Sursis requis pour les trois vies emportées dans l'inondation d'un Ehpad en 2015 à Biot

L'entrée de la maison de retraite "Le Clos Saint-Grégoire" de Biot (Alpes-Maritimes), inondée le 3 octobre 2015. - Jean-Christophe MAGNENET / AFP
Huit ans après le drame, des peines de 12 à 18 mois de prison avec sursis ont été requises jeudi au procès de l'inondation meurtrière de l'Ehpad du groupe Orpea de Biot (Alpes-Maritimes), marqué par le "déni total" des prévenus.
Dénonçant une "impréparation totale", le procureur Alain Guimbard a requis 18 mois de prison avec sursis contre l'ex-maire de la commune Guilaine Debras et 12 mois avec sursis contre le responsable des risques naturels de la ville, Yann Pastierik, ainsi que contre l'ancienne directrice de la maison de retraite privée, Anaïs Gledel.
Une amende de 50.000 euros a été demandée contre le groupe Orpea.
"Déni total de responsabilité" des prévenus
Les quatre prévenus comparaissaient depuis mardi devant le tribunal correctionnel de Grasse pour homicides involontaires. L'audience doit se conclure vendredi avec les plaidoiries de la défense, puis le jugement devrait être mis en délibéré.
Après trois jours de débats, Alain Guimbard a dénoncé le "dialogue de sourds" qui a prévalu et le "déni total de responsabilité" des prévenus, aux réponses souvent évasives.
"Vous ne contestez pas les faits qui vous sont reprochés. En revanche, vous êtes dans le déni total. Ça n'aurait pas été honteux de dire: ‘On n'a pas fait ce qu'il fallait, on a merdé’. Ça vous aurait grandi", a lancé Me Philippe Soussi, avocat de plusieurs parties civiles.
Le soir du 3 octobre 2015, des orages catastrophiques avaient transformé plusieurs rivières de la Côte d'Azur en torrents d'eau et de boue, causant la mort de 20 personnes et des dégâts considérables.
À Biot, commune vallonnée de près de 10.000 habitants au nord d'Antibes, une vague de submersion avait dévasté plusieurs quartiers et envahi le rez-de-chaussée de la maison de retraite. Trois résidentes, âgées de 82, 91 et 94 ans, y étaient mortes noyées.
"Ça a détruit ma vie"
"On m'a rendu un sac poubelle avec des vêtements de ma grand-mère", a témoigné Sandrine Delaup, dont la maison située dans le bas de Biot a été dévastée par la même vague. Réfugiée avec sa famille à l'étage, dans le noir, elle a reçu vers 00h45 un appel d'Orpea lui annonçant le décès de la vieille dame.
Comme 18 autres résidents du rez-de-chaussée, Marguerite Polisciano, 94 ans, a, elle, survécu à l'eau boueuse tourbillonnante en s'accrochant à une armoire tombée sur son lit. Elle est "restée dans l'eau au moins deux heures. Elle a hurlé, mais bien sûr personne n'a entendu", a témoigné son neveu André Polisciano.
"Je l'ai retrouvée le lendemain dans un état piteux, pleine de boue... Elle n'avait plus rien, sa vie était finie", a-t-il ajouté. Atteinte d'un cancer, sa tante est décédée trois mois plus tard.
Pourtant, il aurait suffit de monter tous les résidents au premier étage pour éviter le drame, comme cela avait été fait in extremis lors d'une précédente inondation en 2005, puis une nouvelle fois par précaution en 2011, a insisté le procureur.
Météo France avait bien placé le département en vigilance "orange", mais aucune mesure d'alerte ou de prévention n'avait été prise à Biot. Un arrêté municipal d'octobre 2005 exigeait pourtant, en cas d'alerte, la mobilisation automatique de renforts à l'Ehpad et l'évacuation des résidents à l'étage.
Mais, depuis, des bassins de rétention creusés en amont avaient donné un sentiment de sécurité et l'arrêté avait sombré dans l'oubli. Et si certes la commune n'avait pas alerté l'Ehpad, Mme Gledel a reconnu qu'elle n'aurait pas pour autant pris l'initiative de l'évacuation, ignorant que l'établissement se trouvait en zone inondable.
Âgée alors de 29 ans et en poste depuis un mois, elle a ensuite été mutée en interne puis licenciée en 2021, après la naissance de ses jumelles.
"Être mise en examen pour un mois de direction, ça a détruit ma vocation et ça a détruit ma vie", a-t-elle raconté, en larmes.