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Protection des témoins: ce que prépare le gouvernement

Le témoignage sur RMC et BFMTV de Sonia, la femme qui a permis la neutralisation d'Abdelhamid Abaaoud, cerveau présumé des attentats du 13 novembre, met en lumière les manques en matière de protection des témoins dans les affaires criminelles. Dans son projet de loi de réforme de la procédure pénale, le gouvernement prévoit justement de nouvelles mesures de protection. Explications.

Elle a risqué sa vie pour sauver des vies. Et la voilà qui se sent abandonnée. Sonia (prénom modifié), a permis la neutralisation le 18 novembre dans un appartement délabré de Saint-Denis, d'Abdelhamid Abaaoud, cerveau présumé des attentats du 13 novembre, avant que celui-ci ne commette d'autres attentats à La Défense. Si elle a contacté RMC, c'est parce qu'elle se sent abandonnée par l'État. Elle estime que l'aide financière, l'aide psychologique et la protection dont elle jouit sont insuffisantes (elle n'est pas entouré de policiers, notamment), ce que réfute le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve qui assure que l’État fait "tout ce qu'il faut". Ses papiers d'identité sont toujours les mêmes, et elle doit rester cachée. Elle craint, donc, pour sa vie.

Le projet de réforme pénale, présenté ce mercredi 3 février en conseil des ministres, prévoit justement de mieux protéger les témoins. Car aujourd'hui, et le témoignage de Sonia en est un exemple, le système est imparfait.

Les limites du témoignage sous X

A l'heure actuelle, lorsque vous êtes témoins dans une affaire criminelle et que le simple fait de témoigner peut vous mettre en danger, l'institution judiciaire ne peut que vous proposer de conserver l'anonymat dans la procédure. Autrement dit, de témoigner sous X pour éviter que l'on puisse vous retrouver. Une mesure que la justice ne décide que très rarement. Car un témoignage sous X ne peut être utilisé comme seule preuve pour condamner un criminel. De toute façon, l'anonymat est assez limité dans les faits, explique sur RMC Maître Stéphane Babonneau, avocat spécialiste du droit pénal à Paris. "Si dans une déclaration on lit : 'le voisin de monsieur untel déclare qu'il l'a vu', on sait évidemment de qui il s'agit, et le témoignage sous X n'apporte aucun niveau de sécurité".

Si le projet de loi est adopté, la protection des témoins et de leur famille sera largement renforcée. Le témoin pourra conserver l'anonymat tout au long d'une procédure judiciaire, à la demande du procureur et sur décision du juge : il sera alors désigné par un numéro. "On pourra également ordonner un huis clos devant la cour d'assises pour que le témoin puisse venir déposer sans que son identité soit exposée", ajoute Véronique Léger, secrétaire nationale de l’union syndicale des magistrats (USM), invitée ce mercredi de Jean-Jacques Bourdin.

Changement officiel d'identité, déménagement…

Le témoin pourra également changer officiellement d'identité. "Aujourd'hui, cela n'est possible que dans la procédure de justice, mais pas dans la vie courante", explique la magistrate, qui s'appuie sur l'exemple de Sonia, qui a un nouveau nom, mais qui n'a pas de nouveaux papiers d'identité et doit "par exemple chercher un emploi sous sa vraie identité". Les sanctions envers ceux qui dévoilent le nom des témoins seront également alourdies.

"Si le texte est adopté, la personne qui témoigne pourra bénéficier également de mesures de relocalisation. En clair, elle sera mise à l'abri et ses frais de déménagement seront pris en charge par le budget de la Justice", explique Maître Babonneau.

"Tout cela a un coût, il faudra que ce soit budgété"

La plupart de ces mesures existent déjà, mais ne concerne que les repentis, anciens criminels qui décident de coopérer avec la police et la justice. "Aujourd'hui, un témoin est moins bien traité qu'un repenti", souligne Véronique Léger. "On voit avec ce projet de loi que le gouvernement a pris conscience de la nécessité de créer ces nouvelles mesures de protection pour tenir compte de cet impératif de protection".

Si elle se réjouit de ce projet du gouvernement, elle alerte sur deux points. D'abord, "il faut s'assurer que cela respecte les droits de la défense. Notre législation actuelle prévoit aussi qu'une personne ne peut pas être condamnée sur les seules dire d'un témoin anonyme".

Et puis la secrétaire nationale de l'USM s'interroge sur les moyens alloués à la justice. "La justice manque de moyens. Il faut donc développer des moyens spécifiques pour assurer la protection de ces témoins. Des choses sont prévues par le projet de loi : escorte policière, réinstallation dans un logement... Tout cela a un coût et il faudra que ce soit budgété". Le prix à payer pour sauver des vies.

P. Gril avec JB. Durand et JJ. Bourdin