Rouen: "On ne peut pas dire que tout va bien et en même temps déconseiller de consommer du lait"

Une affaire qui montre que l’on a de plus en plus un problème de confiance dans la parole publique. Ce week-end, on pouvait tout lire à propos des conséquences de l’incendie à l'usine Lubrizol. Tout et son contraire.
Les propos du préfet, qui affirmait samedi soir en s’appuyant sur les premières analyses, que la qualité de l’air était normale. En "état habituel".
Les propos dimanche soir du patron de l’Agence régionale de santé qui disait, que ni les pompiers ni les hôpitaux n’avaient constaté d’afflux anormal de malades. Le rectorat était également rassurant.
Et puis parallèlement, pendant tout le week-end on a entendu des propos beaucoup plus alarmistes.
Sentiment d'abandon
La responsable régionale d'Europe écologie-Les Verts qui parle d’une catastrophe industrielle majeur, la pire depuis AZF en 2001 à Toulouse. Un député la France insoumise qui affirme que le sol est jonché d’oiseaux morts.
Un journaliste qui indique qu'à peine arrivé à Rouen, il a été pris de maux de tête.
Et sur les réseaux sociaux des habitants de Rouen qui se plaignent, de ne pouvoir faire confiance à personne et d’avoir été abandonné par les médias qui ne parlaient que de la disparition de Jacques Chirac.
Comment faire la part du vrai et du faux ? En allant voir, si oui ou non, les habitants de Rouen ont mal à la tête et la gorge qui pique, si oui ou non il flotte encore une odeur inquiétante sur la ville.
Et bien oui, ça pue. Une très forte odeur de carburant autour du site de l’usine, et les analyses ont montré que dans ce quartier industriel, proche des habitations du Petit-Quevilly, le taux de Benzène était anormalement élevé.
Face à une usine chimique qui fume encore un peu, aucune parole publique n’est audible
Dans le centre-ville de Rouen qui doit être à 1.500 mètres à vol d’oiseau de l’usine, l’odeur est encore là mais moins forte. On a un peu l’impression d'être dans une station d’essence. C’est assez désagréable même si je n’ai pas souffert de maux de tête et que je n’ai pas eu de picotement dans la gorge.
Mais ce qui est surtout impressionnant dans le centre-ville, c’est que les promeneurs ont souvent, pas tous mais assez souvent, devant la bouche, un foulard, une écharpe ou bien un masque médicale.
Et lorsqu'on les interroge, ils disent tous que le nuage qui les a survolé est sûrement dangereux, peut-être cancérigène. Et qu’en tout cas ils sont d'accord pour dire qu'on ne leur dit rien, et qu'ils n'ont pas confiance. Je n’ai pas rencontré un Rouennais qui m’ait dit: "Je fais confiance aux autorités, les premières analyses de l’air sont rassurantes".
On voit bien que face à un nuage noir de 22 kilomètres, face à une mauvaise odeur persistante, face à une usine chimique qui fume encore un peu, aucune parole publique n’est audible.
Comment peut-on expliquer ce manque de confiance?
D’abord parce que cette parole publique a souvent été contradictoire. Le préfet affirme samedi soir que l’air est normal, et le dimanche matin des arrêtés sont pris pour interdire la commercialisation du lait, des oeufs, du miel, des poissons d'élevages. Et pas qu’autour de Rouen. Jusqu’aux Hauts-de-France.
Premier éléments d’explication: on ne peut pas dire que tout va bien et en même temps que le lait est dangereux. Deuxième explication: certains en rajoutent. Je parlais de ce député de La France insoumise qui a cru pouvoir dire que les oiseaux morts jonchait le sol. Moi je n’en ai vu aucun. Et notre envoyée spéciale, Bettina de Guglielmo qui a sillonné la région depuis jeudi n’a pas vu d’oiseaux morts non plus.
Ceux qui en rajoutent ce sont ceux qui ont fait un faux communiqué de la préfecture vendredi. Un communiqué extrêmement bien copié qui parlait d’un nuage d’une toxicité aiguë et qui conseillait au habitants de Rouen de quitter la ville. Le communiqué a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Bien sûr, il faisait peur. Tout était faux. La préfecture va sans doute porter plainte.
Mais il y a aussi une défiance plus profonde
Elle date sans doute de Tchernobyl. C’était il y a plus de trente ans, mais c’est resté dans les esprits. En 1986, il y avait un petit monsieur en blouse blanche qui s’appelait le professeur Pellerin et qui faisait des conférences de presse quotidienne pour dire que le nuage de Tchernobyl s'était arrêté à la frontière allemande.
C’était un mensonge d'Etat, on sait aujourd’hui que le nuage a provoqué une augmentation des cancers dans l’est de la France, dans la région de Nice et en Corse. Mensonge officiel, répété, prémédité. Ça explique aussi pourquoi les habitants de Rouen doutent des communiqués rassurants.