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"Ça fait princesse": faut-il interdire les abayas dans les collèges et les lycées?

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Les incidents liés aux abayas se multiplient dans les établissements scolaires. La législation sur ces robes longues, qui couvrent l'intégralité du corps à l'exception des chevilles et de la tête, est floue. Selon une circulaire de 2022, c'est au chef d'établissement d'interdire ou pas cette robe au cas par cas, si elle est portée fréquemment pour des raisons religieuses.

Après avoir réuni les recteurs ce mardi, le ministre de l'Éducation, Pap Ndiaye, doit prochainement réunir les 14.000 chefs d'établissement pour évoquer la multiplication des incidents liés aux abayas, ces robes longues qui couvrent toutes les parties du corps à l'exception des chevilles et de la tête.

Selon le dernier bilan du ministère de l'Éducation nationale publié cette semaine, 56% des atteintes à la laïcité sont relatives au port de signes et de tenues à caractère religieux, dont les abayas. Mais la législation est floue et ces robes, portées dans les pays musulmans du Moyen-Orient, sont souvent tolérées à l'école malgré l'interdiction des signes religieux. Une circulaire de novembre 2022 permet bien au chef d'établissement d'interdire cette robe au cas par cas si elle est portée fréquemment pour des raisons religieuses.

Mais ce n'est plus possible d'appliquer cette circulaire quand les cas deviennent trop nombreux, d'après les chefs d'établissements, qui attendent une mesure plus claire.

Dans ce lycée des Yvelines, elles sont plusieurs à sortir en robe ample, longue, jusqu'aux chevilles. “C’est joli, c’est beau, ça fait princesse. Tout le monde aime”, indique l’une d’entre elles. Toutes de confession musulmane, ces lycéennes achètent leurs tenues dans des grandes enseignes de prêt-à-porter, ou encore au marché. Pour elles, ce n'est pas un signe religieux.

“Si on nous demande d’enlever notre voile à l’entrée du lycée, ok je peux comprendre parce que c’est religieux. Mais l’abaya non, ça ne l’est pas. On n'est pas en train de faire de la propagande, on ne fait de mal à personne”, appuie la jeune femme.

Pas de liste précise des vêtements interdits

Une interdiction de l'abaya, ce groupe de copines ne la comprendrait pas. “Moi, je trouve que c’est une attaque envers ma religion. Je trouve ça injuste qu’on ne dise rien à quelqu’un qui vient en longue robe, et qu’à moi, parce que je suis arabe, on me dise que ma tenue est un habit religieux”, déplore cette étudiante.

Dans ce lycée, le proviseur essaie de décourager le port de cette robe. Elle est tolérée dans certains établissements, interdite dans d'autres. Mais il faut statuer sur une règle claire et sans ambiguïté pour Julien Giovacchini, secrétaire général adjoint du syndicat de chefs d'établissement ID-FO. “On a l’impression que l’institution se défausse et ce que nous ne voulons pas, c’est qu’il y ait des degrés d’application ou d'interprétation différents des textes en fonction des établissements”, appuie-t-il.

Pourtant selon le recteur de l'académie d'Aix-Marseille, Bernard Beignier, ce "flou juridique" n'existe pas vraiment.

"La règle est très simple, il s’agit de l’application de la loi, détaille-t-il ce jeudi matin sur RMC. Celle-ci vise en particulier les signes et les tenues. Or il est clair qu’en prenant une abaya, une jeune femme entend manifester ostensiblement, c’est le terme de la loi, une conviction religieuse qu’elle cherche à imposer d’une manière ou d’une autre aux autres élèves. Donc, concrètement, cette élève ne pourra pas, c’est parfaitement impossible, participer à une classe. Elle ne pourra pas suivre l'enseignement ordinaire. Mais la loi prévoit une phase de dialogue avant un possible conseil de discipline. Donc cette jeune fille, en entrant dans l’établissement, va immédiatement être dirigée vers une classe où elle sera seule avec le chef d’établissement ou un professeur qui va lui expliquer le sens de la loi, parce qu’elle est souvent mal connue. Il va lui demander au bout d’un certain temps de bien vouloir respecter la loi."

"Pas aux personnels de faire preuve du courage dont notre administration ne fait pas preuve"

Une position tranchée qu'aprécie Jean-Rémi Girard, président du Syndicat de l’Education nationale et du supérieur. Mais il regrette que celle du ministre de l'Education, Pap Ndiaye, ne soit pas aussi claire.

"Globalement, on ne peut pas appliquer de manière aussi limpide et sereine cette règle puisque c’est aux chefs d’établissement qu’est censée revenir, in fine, l’évaluation que la tenue est ou non à connotation religieuse. La position très claire du recteur d’Aix-Marseille ce n’est pas celle du ministre de l’Éducation, qui n’a pas du tout dit ça. Ce n’est pas à nous, personnels de l’Éducation nationale, de faire preuve du courage dont notre administration ne fait pas preuve. Surtout que c’est nous qui sommes en première ligne. Donc quand ça se passe mal, c’est pour notre pomme”, dénonce-t-il.

Jusqu'à présent, le ministère de l'Éducation nationale refuse de publier une liste précise de vêtements interdits à l'école. Pourtant, il demande aux personnels de faire preuve de fermeté.

Maryline Ottmann et Nicolas Traino avec Guillaume Descours