"Clocharde", "fayotte"... Des parents publient le récit du calvaire qui a poussé leur fille au suicide

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Virginie Monk, mère d'Emilie Monk, qui a mis fin à ses jours car elle ne supportait plus les brimades dont elle était victime à l'école:
"Quand le père d'Emilie a trouvé dans son ordinateur son récit autobiographique, et non son journal intime, quelques temps après son décès, on s'est rendu compte qu'il s'agissait, pour elle, d'un projet littéraire pour aider les autres victimes de harcèlement en milieu scolaire. Pour nous, ça nous a paru évident qu'il fallait absolument publier ce témoignage dans la mesure où il décrit très bien les mécanismes du harcèlement scolaire. Et surtout le vécu de la victime, car Emilie décrit vraiment tout ce qu'elle subissait et ce que ça lui faisait.
Emilie a été victime de harcèlement de la 5ème jusqu'au deuxième trimestre de la 3ème. Elle subissait beaucoup de violences verbales et psychologiques. Elle était dans une institution privée, catholique, très huppée de Lille. C'est un établissement où la norme, pour une fille, était d'avoir un sac de marque, d'avoir les cheveux impeccablement lissés, des vêtements de telles marques achetés dans le Vieux-Lille… Emilie, elle, n'avait pas du tout les mêmes centres d'intérêt que la plupart des adolescentes de son âge. Elle ne s'intéressait pas aux garçons, à avoir des vêtements de marques… Tout ça lui semblait superficiel.
Crachats, jets de chewing-gums et de mouchoirs usagés
Elle, elle voulait avant tout suivre sa scolarité sans problème. C'était une élève brillante. Elle voulait devenir vétérinaire, elle s'intéressait donc aux animaux. Elle était végétarienne et militait un peu pour la cause animale. Et, par-dessus tout, elle aimait la lecture. Elle avait essayé de trouver refuge dans ses livres en se disant qu'en lisant, en se faisant oublier, en faisant profil bas, on la laisserait tranquille. En réalité, pas du tout. Elle était traitée de 'clocharde', de 'fayotte', de 'première de la classe', d''intellote la plus moche de la classe'… On lui conseillait aussi d'avoir de moins bonnes notes pour être moins harcelée.
On lui a aussi craché dessus, jeté une équerre dans la tête, claqué une porte au visage, jeté des mouchoirs usagés, des chewing-gums… Il y avait aussi des coups, des croche-pieds, des crachats, des violences physiques… On lui arrachait ses livres, lui mettait la tête dedans en lui arrachant des pages. Mais tout ça, nous l'ignorions. Nous l'avons su quand un matin, avant de se rendre au collège, elle a fait une énorme crise d'angoisse. Elle a craqué, elle a dit 'J'en peux plus, je ne veux plus jamais y retourner. C'est horrible'. Dès que nous avons su ça, nous l'avons immédiatement retirée de son lycée.
"Elle avait honte, ne voulait pas nous inquiéter"
Elle a donc commencé à nous parler du harcèlement qu'elle subissait mais sans tout nous dire. Quand on a trouvé son récit, on a appris d'autres choses. On était absolument effondrés… Elle ne nous en parlait pas parce qu'elle avait peur des représailles. Elle ne voulait pas passer pour une 'balance', parce que chez les jeunes c'est vraiment un tabou et que si on parle des violences subies on passe pour une 'balance'. Ce qui, forcément, empire les choses. Comme beaucoup de victimes, elle avait honte. Mais, aussi, elle ne voulait pas nous inquiéter. Elle était contente de nous ramener des bonnes notes. Alors qu'on aurait mille fois préférer savoir ce qu'il se passait et la changer tout de suite d'établissement.
Comme elle l'écrit, elle se sentait 'pitoyable' et ne voulait pas que ses parents sachent 'qu'ils avaient donné naissance à une pure sous-merde'. Voilà, l'image qu'elle avait d'elle-même, que les harceleurs ont fini par lui renvoyer. Mais, malgré tout ce qui lui est arrivée, elle a été très courageuse d'où le titre du livre, Rester fort. Car en publiant ce livre, on souhaitait rendre hommage à Emilie en parlant aussi de la petite fille qu'elle a été. Avec nos textes, nos poèmes, on évoque son enfance et sa pathologie. Parce qu'une fois qu'on l'a retirée de son lycée, elle est tombée en dépression, qui a empiré au fil du temps.
"Ce livre est aussi fait pour les harceleurs et les complices"
Mais le but de ce livre est aussi d'alerter les institutions qui bien souvent ne veulent pas réagir, qui préfèrent fermer les yeux. Les adultes (les professeurs, les CPE, les directeurs…) ne remplissent pas leur rôle d'adulte qui est d'éduquer mais aussi de protéger les enfants. On veut aussi que le témoignage d'Emilie et nos textes sensibilisent les enfants qui seraient éventuellement en difficulté, que ça les encouragent à prendre la parole. Ce livre est aussi fait pour les harceleurs et les complices, les témoins silencieux. Qu'ils comprennent que chacun est responsable, qu'ils se rendent compte de l'impact de leur violence sur leurs victimes. Car celle-ci peut aller jusqu'à la phobie scolaire, la dépression, voire le suicide.
Souvent les jeunes se disent que c'est 'juste pour rigoler', mais non. Car même si la victime ne dit rien elle souffre énormément. Elle peut aller jusqu'à se donner la mort. Donc, non ce n'est pas drôle. Il faut comprendre que la répétition d'actes malveillants, d'insultes, d'humiliations, de brimades et autres violences, ça détruit la victime. En plus, il s'agit d'enfant dans une période difficile car en pleine adolescence on est plein de doutes. Il n'y a rien de tel pour briser l'estime de soi et bousiller les gamins".
NB: Rester fort de Emilie Monk, éditions Slatkine & Cie, 128 pages, 9,90€. Tous les droits du livre sont reversés à l’association "Les Parents", qui lutte contre le harcèlement scolaire, ainsi qu’à L214, association de protection animale que soutenait Emilie.