Faut-il faire payer l'entrée des villes touristiques comme Venise? "Une ségrégation sociale", pour les chroniqueurs d'Estelle Midi

La basilique Saint-Marc à Venise en Italie. - Wikimedia Commons
Première mondiale à Venise jeudi 25 avril: les touristes à la journée devront présenter un ticket d'entrée pour accéder à la Cité des Doges, qui espère ainsi endiguer le surtourisme. Ce nouveau sésame, qui se présente sous forme d'un QR code acquis en ligne au tarif unique de 5 euros, devra être présenté aux principaux points d'entrée de la Sérénissime.
En dépit de son tarif modique et de l'absence d'un plafond au nombre de visiteurs, Venise espère dissuader certains touristes de venir encombrer ses étroites ruelles et ponts enjambant les canaux les jours de plus grande affluence.
Venise deviendra ainsi la première ville touristique au monde à imposer un droit d'entrée à l'instar d'un parc à thème, alors que des mouvements hostiles au surtourisme se multiplient, notamment en Espagne, poussant les autorités à agir pour concilier le bien-être des habitants avec un secteur économique crucial.
"Il s'agit d'une expérimentation, et c'est la première fois que ça se fait dans le monde", a expliqué le maire de Venise Luigi Brugnaro lors d'une conférence de presse début avril à Rome pour présenter ce nouveau mécanisme aux médias du monde entier. Une expérience qui sera suivie de près par d'autres grandes villes touristiques à travers le monde confrontées aux mêmes problématiques.
Mais alors est-ce que ce serait possible en France?
En 2019, lors de la campagne pour les élections municipales, cela faisait partie du programme d’un candidat à la mairie de Saint-Paul de Vence. Son idée: faire payer l’entrée au village 5 euros sauf pour les habitants de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Selon lui, avec deux millions de visiteurs chaque année, cela aurait pu ramener 10 millions d’euros à la commune et surtout limiter le flux de touristes.
Finalement, la mesure n’a pas vu le jour, mais le sujet reste plus que jamais d’actualité. À Marseille, depuis l’été dernier, deux calanques sont désormais accessibles uniquement sur réservation (gratuite) lors de certains week-ends et durant tous les mois de juillet et d’août.
Juillet et août, où l’accès à l’île de Porquerolles est limité à 6.000 personnes par jour. Dernier site en date à avoir décidé d'instaurer des quotas: l'île de Bréhat en Bretagne. En 2022, lors des journées les plus chargées, plus de 6.000 personnes ont sur la petite île bretonne de 3 km². L’an passé, le flux a été limité à 4.700 personnes par jour.
"Le tourisme va devenir une activité socialement différenciée"
Sur le plateau d’Estelle Midi, Benjamin Amar, enseignant et syndicaliste, s’oppose totalement à l’idée de faire payer l’entrée des villes touristiques.
“Aujourd'hui, il y a de plus en plus de choses qui deviennent un luxe pour des millions de Français. In fine, si on poursuit dans cette logique-là, le tourisme va devenir une activité socialement différenciée. Il y aura de moins en moins de classes populaires et moyennes qui pourront voyager”.
Périco Légasse, journaliste, partage son avis. Pour lui, il y a deux solutions au tourisme de masse: mettre en place des quotas numéraires, ou mettre en place “la ségrégation sociale”, comme le fait Venise, et comme l’a dénoncé Benjamin Amar.
“Au final, ce sont les gens qui ont les moyens qui pourront accéder à ces lieux merveilleux et ce n'est pas normal”, conclut le mari de Natacha Polony.
Valérie Boned, présidente des Entreprises du Voyage, est également en faveur de la mise en place de jauges. “On a les moyens aujourd’hui de réguler et d’anticiper, car il y a une surfréquentation nocive. Et en France, si on faisait payer l’accès au Mont Saint-Michel, par exemple, pour une petite somme comme à Venise, ça n’empêcherait personne d’y aller”.
Un auditeur propose, à la limite, d’augmenter la taxe de séjour que les touristes payent plutôt que de mettre en place un ticket d’entrée comme Venise.