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"Demander peu à beaucoup": comment ce désert médical va faire tourner 52 médecins sur un an

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Faute de soignants, une commune d'Eure-et-Loir a fait appel à une association pour bénéficier de la présence régulière de médecins chaque semaine. Une solution temporaire, mais nécessaire, face à la problématique des déserts médicaux, qui touche toute la France.

Véritable problématique dans l'Hexagone depuis plusieurs décennies, les déserts médicaux reviennent sur la table ce jeudi avec l'annonce d'un plan de lutte présenté par le gouvernement de François Bayrou.

En attendant que des actions concrètes soient prises, certaines communes prennent les devants, comme Bû (Eure-et-Loir). Sans médecin depuis cinq ans, elle a décidé de faire appel à Médecins solidaires pour ses 2.093 habitants.

L'association, qui possède aujourd'hui 700 soignants, est constituée de jeunes remplaçants, de médecins installés et de médecins retraités. Elle s'est construite avec une certaine perspective sur le monde médical.

"Au lieu de demander beaucoup à peu de médecins, peut-être qu'on peut demander peu à beaucoup", détaille Martial Jardel, médecin généraliste et président de Médecins solidaires dans Apolline Matin.

Le dernier professionnel de santé installé dans le village a quitté son bureau en 2020. Depuis, le maire, Pierre Sanier, a multiplié les appels pour recruter trois médecins. Il en a finalement trouvé 52 grâce à l'association, qui vont se relayer durant les douze prochains mois.

"L'idée, c'est que chaque semaine nous ayons un, voire deux médecins, qui sont présents du lundi au samedi midi", explique-t-il à RMC.

Une solution temporaire, mais nécessaire, qui "soulage la population", d'après l'édile. Pour preuve, Roland, 94 ans, estime que cela lui "éviterait d'aller se promener à 12 km, parce qu'un jour ou l'autre je ne pourrai plus conduire".

L'association espère quant à elle se développer davantage. "Si on engage dans notre projet 10% des médecins, on peut ouvrir 150 centres de santé sur le territoire, soit un et demi par département", ajoute Martial Jardel.

"On a besoin de nos médecins"

Pour compenser l'absence des médecins, alors que l'Eure-et-Loir compte 71 spécialistes pour 100.000 habitants, certains se tournent vers les pharmacies. Sauf que le lieu n'est pas toujours adéquat.

"On essaie de traiter ce que l'on peut faire tout de suite, mais les traitements au long cours ne sont pas notre travail. On a besoin de nos médecins", explique Amandine Maitre, pharmacienne, qui a dû s'adapter avec l'installation d'une téléconsultation.

Cet été, la commune de Bû accueillera pour premier soignant le docteur Paul-Henri Lambert. Face au système employé pour assurer la prise en charge des habitants, il décrit un fonctionnement difficile.

"On est conscient que plusieurs médecins vont se relayer. Il va y avoir un risque d'un suivi erratique. On a mis en place plusieurs garde-fous", indique le soignant.

Les dossiers médicaux seront donc plus détaillés et les consultations plus longues.

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Augmenter le nombre de médecins ?

Le département a été confronté à une chute de 35% du nombre de médecins entre 2010 et 2024. Le paysage médical se désertifie et le phénomène est observé plus largement en France, y compris dans les zones plus peuplées.

"Je pense qu'il y a des endroits qui sont plus démunis que d'autres, mais que dans des grandes villes, beaucoup de patients ne trouvent quand même pas de spécialistes", indique Timothée, médecin en gériatrie dans l'Aude, dans Apolline Matin.

Pour lui, la première solution est d'augmenter le nombre de médecins.

"Le numerus clausus a soi-disant disparu, mais la réalité est toujours la même: on empêche des étudiants en médecine qui sont très bons de passer en deuxième année de médecine", affirme-t-il.

Constat confirmé par Olivier, dont le fils est en troisième année de médecine: "On les ecoeure les gamins. Le mien est sorti avec un classement honorable (...) Ils en ont pris 250 et il m'a dit que celui qui est 251e est aussi fort qu'eux", indique-t-il.

L'installation régulée des médecins dans le viseur

Vient la question du placement de ces étudiants dans l'Hexagone à la sortie de leurs études. Réguler leur liberté d'installation est présenté comme un moyen utile pour enrayer les déserts médicaux. Mais la solution provoque la grogne.

Le fils d'Olivier prévoit de participer au mouvement de manifestation lancé le 28 avril contre l'adoption d'une loi par l'Assemblée nationale sur le sujet. Elle doit être votée les 6 et 7 mai prochains.

Rien d'étonnant pour Jérôme Marty, médecin généraliste, qui évoque des conditions de travail "catastrophiques" et rappelle "qu'un interne se suicide tous les 18 jours".

Il ajoute: "Il est évident que ces jeunes qui remboursent la nation en tenant à bout de bras les hôpitaux, en étant payé moins que le SMIC horaire et en bossant 90 heures par semaine, on ne peut pas en plus leur filer une double peine qui vise à dire 'vous allez vous installer là où nous le décidons'".

Amélie Courtet avec Mélanie Hennebique