Troubles bipolaires: "on se sent le roi du monde et, l'instant d'après, on est au fond du trou"

- - CC/geralt
Jérémy a 29 ans, il est professeur de philosophie dans le nord de la France. Il a été diagnostiqué bipolaire en octobre 2011:
"Les symptômes sont apparus lorsque j'étais en Erasmus à Munich, en 2009. J'ai commencé à avoir des périodes très joyeuses suivies de périodes très tristes. A l'époque, j'avais mis ça sur le compte du fait de vivre à l'étranger, dans un environnement différent.
J'avais des périodes d'euphorie pendant lesquelles il était très facile de se lier avec les gens. A d'autres moments, j'étais enfermé dans ma chambre, je n'arrivais plus à aller vers les autres, je passais ma journée à regarder des séries. Je n'avais pas beaucoup d'heures de cours donc ça ne s'est pas trop vu. J'avais juste envie de m'occuper pour que le temps passe. Je sais que certains bipolaires vivent plus mal leur phase de dépression. Moi j'avais une inertie, une absence de volonté sur un fond de tristesse. A l'époque je n'en ai pas trop parlé surtout quand ça allait bien, mais quand ça allait mal je me demandais ce qui se passait.
"Je ne dormais plus, je buvais beaucoup"
Je ne me suis jamais complètement dit que c'était problématique avant que ça explose. J'ai eu un épisode maniaque délirant de juin à octobre 2011 avec une montée en puissance de mon humeur. Ça allait de mieux en mieux, je parlais beaucoup, je ne dormais plus, je buvais beaucoup, je rencontrais des gens partout… Les gens me semblaient extraordinaires, c'était une forme de frénésie.
J'avais l'impression que j'atteignais une sorte de nirvana, de joie, d'exaltation. A vivre c'est extrêmement intense. Et j'ai craqué. Un membre de ma famille a fini par comprendre qu'il se passait quelque chose, j'ai donc été hospitalisé pendant un mois.
Quand j'ai été diagnostiqué, ça m'a fait du bien, c'est comme si ça excusait une partie de ce que j'avais fait. J'ai compris qu'il y avait une raison à mon comportement. Mais c'est quand même un coup dur d'apprendre que vous avez une maladie pour laquelle il faudra prendre un traitement à vie
En sortant j'ai eu une phase dépressive très prononcée, c'était très dur.
Depuis que je prends un traitement je n'ai plus d'épisode très prononcé, mais si j'arrête, ça commence à dérailler. C'est une maladie avec laquelle il faut être patient. Ça prend du temps à se stabiliser. Je pense que je peux encore progresser.
"J'ai eu la chance d'avoir un entourage bienveillant"
Après mon diagnostic, j'ai eu beaucoup de mal à aller jusqu'au bout de mes études. J'ai mis des années à avoir mon CAPES de philosophie. J'ai eu la chance d'avoir un entourage assez bienveillant, même si je l'ai malmené pendant certaines phases de perte de contrôle. Il y a parfois des mots que l'on regrette, mais mon entourage a été patient.
Dans la vie professionnelle, c'est inutile de le nier, c'est une maladie qui est invalidante à des degrés divers. Il faut trouver le bon traitement mais parfois la maladie évolue, donc il faut sans cesse tâtonner pour trouver un équilibre et c'est difficile de travailler en même temps. L'an dernier par exemple, je n'ai dû m'arrêter qu'une semaine, mais cette année, c'est très dur, j'ai eu une rechute, un épisode bas assez difficile. Je n'arrivais plus à travailler, je n'avais plus la force.
Je suis en train de réfléchir à une reconversion professionnelle parce que je pense que le métier de prof n'est pas forcément fait pour moi. Je suis au centre de l'attention, ce n'est pas évident. Il y a aussi le fait de devoir travailler seul chez soi à préparer les cours, corriger les copies, ça brise un peu le rythme et je pense que ça ne me convient pas.
Aujourd'hui je suis revenu chez mes parents après avoir vécu seul. Ça ne me convenait pas. J'ai du mal à habiter seul. Il y a des moments où j'ai un besoin de communiquer très fort et ça m'aide d'avoir une présence chez moi.
La maladie évolue. Avant, j'avais des alternances maniaques et dépressives comme un bipolaire classique alors que là j'ai plutôt des phases mixtes, c'est-à-dire que les périodes euphoriques et dépressives sont très rapprochées. On va se sentir le roi du monde, et l'instant d'après on est au fond du trou. Ce sont des mouvements d'humeur très violents et très rapprochés. C'est assez difficile à vivre".