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Grande distribution

Vos produits préférés disparaissent parfois soudainement des rayons? Voici pourquoi

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Produits d'hygiène Nana, biscuits Lu, soda Pepsi... Régulièrement, les consommateurs constatent que les rayons qui abritent habituellement leurs produits préférés sont vides. Comment s'explique ce phénomène?

Des rayons entiers vidés de produits. Régulièrement, des consommateurs observent que leurs marques préférées disparaissent soudainement de leur supermarché. On l'a vu pour les produits des marques du groupe PepsiCo (Lays, Doritos, Pepsi, 7up...) en début d'année chez Carrefour ou encore pour ceux du groupe Mondelez (Lu, Milka, Belin...) depuis plus de trois mois chez Système U et Leclerc.

Comment expliquer que ces produits en rupture de stock ne soient pas réapprovisionnés? RMC Conso vous explique.

Plus de produits Nana et Tena chez Leclerc

Il y a quelques jours, le spécialiste de la grande distribution Olivier Dauvers publiait sur X un post montrant une affichette placée dans le rayon hygiène du magasin Leclerc de Marmoutier, dans le Bas-Rhin.

"Les marques Nana et Tena ne sont plus disponibles dans votre magasin suite à une augmentation significative et injustifiée des prix de la société Essity," annonce l'affichette.

On comprend que Leclerc a décidé de déréférencer les marques de ce leader de l'hygiène en raison d'un désaccord sur les prix.

Les raisons possibles du déréférencement d'un produit en rayon sont multiples: une marque qui ne se vend pas suffisamment, un problème de qualité décelé après de nombreux rappels ou des plaintes de consommateurs, une volonté de se renouveler en changeant l'offre...

Querelle entre marque et enseigne

Mais sur les produits de marques très connues, et particulièrement en période d'inflation, la source d'un déréférencement est tout autre. Il s'agit, la plupart du temps, d'une querelle entre distributeur et industriel.

Tous les ans, habituellement entre décembre et mars (bien qu'elles aient été avancées à janvier cette année), ont lieu les négociations entre fabricants et enseignes de la grande distribution pour la détermination des tarifs des denrées alimentaires et produits de grande consommation pour l'année à venir. Sont aussi décidées les animations commerciales, opérations promotionnelles, etc.

Évidemment, les distributeurs souhaitent acheter les produits des marques au prix le plus bas possible, pour pouvoir ensuite appliquer des prix intéressants dans leurs magasins, être compétitifs vis-à-vis de leurs concurrents et ainsi attirer les consommateurs.

Dans la guerre des prix que se livrent les enseignes depuis quelques années pour être les moins chères du marché, l'enjeu de ces négociations commerciales est crucial.

Si les produits Nana et Tena ont disparu des rayons Leclerc, c'est donc soit parce que Leclerc n'a pas réussi à se mettre d'accord avec Essity sur les prix au mois de janvier, "soit parce qu'Essity a appliqué une clause de révision pour augmenter ses prix, car lors des négociations annuelles les prix ne sont pas figés pour toute l'année et peuvent fluctuer en fonction des hausses des prix des matières premières", explique à RMC Conso Olivier Dauvers.

Le déréférencement, arme de négociation

Résultat: Leclerc peut avoir décidé de ne pas racheter les produits Nana et Tena, ou bien Essity peut avoir décidé de ne plus livrer Leclerc.

"On ne peut jamais savoir qui est à l'origine de la décision. La relation commerciale n'est pas forcément complètement rompue, l'enseigne peut simplement décider de ne pas racheter momentanément, ou de commander moins," ajoute l'expert de la consommation.

L'idée de rationaliser les achats plutôt que de déréférencer complètement une marque, comme moyen de pression sur les industriels, avait d'ailleurs été évoquée par Thierry Cotillard, patron des Mousquetaires/Intermarché, dans une interview au journal Ouest-France en janvier: "On pourrait rationaliser les assortiments (...) Si une marque nationale a 100 produits, si elle n'est pas raisonnable, peut-être que 60 produits suffiront," suggérait-il alors.

Mais pourquoi la disparition de ces produits des rayons n'est-elle visible que maintenant, six mois après la fin des négociations? Tout simplement parce qu'il y a toujours un décalage entre le moment où le produit est déréférencé et le moment où le consommateur est impacté, le temps que les stocks de l'année précédente s'écoulent.

"Pour des produits d'hygiène qui se conservent longtemps, les stocks sont souvent plus importants donc cela peut prendre des mois pour vider les entrepôts. Et c'est maintenant que les stocks sont vides que l'enseigne commence à être pénalisée," note Olivier Dauvers.

"On le voit aussi sur le rayon biscuits: Leclerc souffre du litige avec Mondelez."

Un chantage difficile à prouver

Si le déréférencement en soi est légal, le déréférencement abusif peut en revanche être dénoncé en justice. Le chantage est théoriquement illégal.

Selon la plateforme spécialisée en performance commerciale Sidely, le code du commerce interdit "d'obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale, totale ou partielle, des relations commerciales, des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente".

Toutefois, un tel abus est quasiment impossible à démontrer, selon Olivier Dauvers:

"Le principe de la liberté commerciale fait qu'une enseigne a tout à fait le droit de ne plus commander un produit. À ma connaissance, il n'y a pas de jurisprudence en la matière."

Quoi qu'il en soit, ni distributeur ni industriel n'a intérêt à ce que ce type de bisbille dure trop longtemps. La marque a besoin de l'enseigne pour distribuer ses produits, et l'enseigne a besoin de la marque pour diversifier son offre et fidéliser ses clients. Le consommateur qui voit disparaître un produit auquel il tient risque d'aller l'acheter ailleurs. Industriel et distributeur sont donc interdépendants.

"C'est comme un couple, plaisante Olivier Dauvers. En général, ce qui se passe, c'est qu'au bout de trois ou quatre mois, chacun fait un pas vers l'autre, parce que chacun a besoin de l'autre pour exister."

Ne vous inquiétez pas, vos produits préférés finiront donc toujours par revenir.

Charlotte Méritan