Pourquoi ne trouve-t-on pas plus de fruits et légumes moches dans les rayons?

La rentrée est le moment des bonnes résolutions. Et parmi les plus répandues, il y a bien sûr celle de manger mieux... En consommant plus de fruits et légumes, notamment. Mais encore faut-il en avoir les moyens.
Selon une enquête de l'association Familles rurales, le prix des légumes a augmenté de 70% en 10 ans. Conséquence: la consommation a baissé de 8% entre 2020 et 2023.
Il existe bien une solution pour faire baisser le prix de son panier: manger des fruits et légumes moches. Mais on ne les trouve pas si fréquemment dans les rayons de nos supermarchés. Deux raisons l'expliquent, l'une tient surtout à nos habitudes de consommation, l'autre est légale. Explications.
Des habitudes de consommation bien ancrées
Vous vous en souvenez peut-être: il y a une dizaine d'années, la plupart des enseignes de la grande distribution lançaient des opérations de vente de "fruits et légumes moches". Des fruits et légumes bons et sains mais trop petits, trop gros ou trop biscornus et qui, pour cette raison, ne sont habituellement pas vendus en supermarché.
Malgré l'économie possible (environ 30%), les clients n'ont pas été au rendez-vous. Des études ont montré que l'aspect des fruits et légumes était un critère de choix pour les consommateurs. Ceux-ci, trop habitués à manger des fruits et légumes à l'allure parfaite, n'ont pas voulu des moches. Face à ce constat, ces derniers ont été retirés des rayons au bout de quelques mois.
Ils sont ainsi retournés à leur destin initial: vendus à l'industrie pour transformation (en jus, purée etc.), pour l'alimentation animale, ou bien encore tout simplement jetés. Dans les centrales d'achat, des critères stricts sont en effet appliqués pour que ne soient envoyés sur les étals que les fruits et légumes les plus beaux et les mieux calibrés.
Face à ces pratiques, un premier tri est opéré par les producteurs eux-mêmes: selon le ministère de la Transition écologique, près d’un million de tonnes de denrées alimentaires comestibles sont jetées au stade de la production primaire tous les ans.
Initiatives anti-gaspi
Aujourd'hui, les fruits et légumes moches font leur retour grâce à quelques initiatives indépendantes, à l'instar de la marque Nous, ou encore BeneBono, une épicerie en ligne spécialisée dans l'anti-gaspi. Cette dernière se targue d'avoir sauvé 4700 tonnes de fruits et légumes rejetés par les circuits de distribution classiques depuis 2020.
"Ce n'est pas évident de changer les mentalités. La grande distribution a poussé les critères du beau en voulant plaire aux consommateurs, pour qui le choix est fortement axé sur l'aspect visuel, les formes et les défauts," explique Marie Estangoy, responsable des achats fruits et légumes chez BeneBono.
"Mais nous misons sur une approche prix pour convaincre les consommateurs, en proposant des tarifs 5 à 35% moins chers que dans la grande distribution, en fonction des défauts des fruits et légumes."
Ces initiatives convainquent un public soucieux de l'environnement, qui fait de la lutte contre le gaspillage alimentaire un acte presque de militantisme, et pour qui les fruits et légumes difformes sont perçus comme ayant une meilleure saveur et de meilleures qualités nutritionnelles.
Normes européennes de calibrage
Malgré tout, elles ne peuvent pas absorber 100% du gaspillage puisque certains fruits et légumes moches ne peuvent pour le moment légalement pas être vendus.
Les fruits et légumes sont en effet encadrés par des normes européennes. La règle générale veut qu'ils soient "intacts, sains, propres et exempts de parasites".
Des règles spécifiques s'appliquent toutefois pour dix d'entre eux, parmi les plus commercialisés, comme la pomme, la tomate, ou encore le kiwi. Il s'agit de règles de calibrage essentiellement. Par exemple, pour être commercialisable, une pomme doit faire 90 grammes minimum ou 60 mm de diamètre minimum (avec 10% de marge de tolérance).
Les détracteurs de ces normes leur reprochent d'être absurdes, et l'argument est d'ailleurs souvent avancé par les eurosceptiques pour accuser l'Europe d'une bureaucratie extrême. Le cas de la banane, qui doit mesurer minimum 14cm de long et 27mm de large, avait été mis en avant par Boris Johnson dans la campagne pour le Brexit en 2016 (mais ce dernier prétendait que la loi imposait une forme spécifique à la banane, ce qui est faux).
"C'est vrai que ces règles strictes nous bloquent parfois, et peuvent paraître un peu absurdes lorsqu'on sait par exemple que les pêches doivent avoir un certain calibre, certains mois dans l'année...," regrette Marie Estangoy.
"Le but est tout de même de réguler les pratiques agricoles pour éviter les abus et assurer une qualité suffisante aux consommateurs," tempère-t-elle.
C'est effectivement ainsi que ces normes sont justifiées à l'échelle européenne. Ces critères de taille et de qualité servent à uniformiser ces produits pour pouvoir en déterminer le prix sur les marchés. Dans une économie mondialisée, cela permet une plus juste concurrence.
Des normes bientôt en partie supprimées
Mais si la règle est utile dans l'import-export, elle l'est moins à l'échelle locale, où les préoccupations en termes de pouvoir d'achat, de gaspillage alimentaire et de rémunération des agriculteurs prennent de plus en plus d'ampleur.
À tel point que l'Union européenne est en passe de supprimer ce qui est perçu par certains comme un excès de normes. À partir du 1er janvier 2025, ces dernières disparaîtront au sein des circuits courts.
Les producteurs pourront vendre directement tous leurs fruits et légumes, même les moches, et même ceux qui ne respectent pas les règles de calibrage (ces règles subsisteront en revanche dans la grande distribution et lorsqu'un intermédiaire existe entre le producteur et le client).
Une solution pour les consommateurs qui veulent acheter des fruits et légumes moins chers, tout en luttant contre le gaspillage et en évitant des pertes financières pour les producteurs.