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Vanille, bananes, quinoa... Ces espèces exotiques sont aussi cultivées en France métropolitaine

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Des fruits de la passion, des bananes, du quinoa, de la vanille, du gingembre, de la citronelle... Ça ne sonne pas très "production locale", et pourtant, des agriculteurs tentent d'acclimater ces espèces en France métropolitaine. Reportage.

Au milieu du Salon de l'Agriculture, au cœur du hall dédié aux fruits et légumes cultivés sur le territoire, le stand Prince de Bretagne attire l'œil. La marque de maraîchers bretons commercialise des poireaux, des oignons, du chou-fleur... Et de la vanille.

De la vanille? En Bretagne? De la vanille, en Bretagne. Des gousses bien noires, au parfum prononcé caractéristique de cette épice tropicale, que l'on cultive habituellement plutôt à Madagascar, ou, en France, sur l'Île de la Réunion. Jusqu'ici, on n'avait encore jamais vu une gousse sécher sur les terres métropolitaines...

Cette idée un peu folle est née en 2019, à l'initiative de trois maraîchers qui ne savaient que faire d'anciennes serres de tomates inutilisées depuis plusieurs années. C'est en cherchant un moyen de revaloriser leur outil de production qu'ils ont pensé à la vanille, en laquelle ils ont décelé une opportunité financière.

7,5kg de fruits exotiques par an et par personne

"Quand on a vu que ça se vendait à 1000 euros le kilo, ça nous a motivé, même si on savait que ce ne serait pas facile," confie à RMC Conso Pierre Guyomar, Président de la section vanille chez Prince de Bretagne.

La demande, en hausse en ce qui concerne la vanille (les Français sont les deuxièmes plus grands consommateurs mondiaux derrière les États-Unis), est une des raisons qui expliquent le développement de cultures d'espèces exotiques en France métropolitaine.

Les Français mangent également 7,5 kg de fruits exotiques par an et par personne, sans compter la banane, devenue le fruit préféré des consommateurs, et est la plus grande consommatrice d'avocats en Europe.

Si la production des départements d'Outre-Mer comme l'Île de la Réunion ou la Martinique couvre une partie des besoins, on importe également massivement ces fruits d'Afrique et d'Amérique du Sud. Avec, dans tous les cas, des coûts de transport et un bilan carbone élevés en raison des longs trajets effectués. D'où l'idée de certains aventuriers de tenter l'acclimatation de ces espèces sur le territoire métropolitain.

Ainsi, la Côte d'Azur peut désormais se targuer de produire des avocats. Et dans les Pyrénées-Orientales, à 20 minutes de Perpignan, Fred Morlot et Lili Blandin, deux passionnés de l'Île de la Réunion, se sont quant à eux lancés il y a 10 ans dans la culture d'une cinquantaine d'espèces exotiques.

"On fait des bananes, des fruits de la passion, des mangues, de la citronnelle, du piment, du curcuma, du gingembre...," liste Lili, contactée par RMC Conso.

Chez elle, la promesse de gains financiers ne faisait pas partie des motivations. "On n'en vit pas, on fait ça en plus de l'activité de paysagiste de mon mari, par passion et goût de l'expérimentation. Mon mari a passé des années à chercher des techniques pour acclimater ces espèces."

Car bien sûr, adapter des plantes tropicales au sol de l'Hexagone, et aux saisons, inversées par rapport à l'hémisphère sud, est un défi qui demande patience et pugnacité.

"On a acheté des plants in-vitro à la Réunion, qu'on a ensuite plantés au sein de nos serres... On a connu des pertes à cause d'une maladie sur les plants... C'était un véritable coup de poker, ça aurait très bien pu ne jamais prendre," explique à ce sujet Pierre Guyomar.

Le changement climatique favorise l'adaptation

Néanmoins, le changement climatique est une autre raison qui explique la possibilité, aujourd'hui, de faire pousser vanille, bananes ou mangues en métropole.

"À la Réunion, la récolte s'amoindrit à cause du dérèglement climatique. C'est pour ça que nos partenaires réunionais y croyaient même plus que nous, au départ. La Bretagne est devenue une terre propice à la culture de la vanille," note le maraîcher.

Lorsqu'on regarde chez nos voisins du Sud de l'Europe, où le climat devient de plus en plus chaud, on constate qu'il s'y produit de plus en plus de fruits exotiques: des bananes en Italie, des mangues en Espagne... Chez nous, la production viticole se déplace, au fil du temps, vers le nord.

Il faut toutefois nuancer les apports du dérèglement climatique au développement de ces nouvelles cultures. Dans un article du site d'informations Reporterre, Iñaki García de Cortázar Atauri, chercheur spécialiste de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), expliquait que "le risque de gel ne peut être écarté" et qu'"il suffit d’une seule température froide pour que les arbres meurent".

Par ailleurs, les climats tropicaux arrosent ces fruits grâce aux pluies abondantes. La contrainte en eau est donc à prendre en compte pour l'implantation de certaines cultures comme l'avocat chez nous.

Au contraire, certaines cultures de céréales se développent pour leur intérêt écologique, à l'instar du sorgho, originaire d'Éthiopie et qui pousse désormais dans le Loir-et-Cher, ou encore le quinoa, venu des Andes et dont la filière française se concentre en Anjou. Toutes deux sont peu gourmandes en eau et ne nécessitent pas d'irrigation.

Intérêt de la diversification agricole

Les vertus nutritionnelles prêtées au quinoa ont fait exploser la demande dans les années 2010. Mais pour les agriculteurs, ces nouvelles cultures offrent également de belles perspectives de diversification. C'est ce qu'expliquent Jason et Maud Abbott, pionniers de la culture du quinoa en France.

"Le quinoa ne représente que 2 à 3% de notre production totale mais il est fondamental car il nous permet de nous diversifier. La monoculture épuise les sols et déséquilibre leur fertilité, attise le développement de maladies, d'insectes... En faisant de la polyculture, on maintient l'écosystème," souligne Jason Abbott, joint par RMC Conso.

Même son de cloche chez Lili Blandin:

"Nous avons eu de grosses gelées il y a un mois, qui ont détruit 80% des récoltes d'artichaut. Les producteurs qui n'ont pas d'autres cultures à côté ne vont rien pouvoir sortir...," regrette-t-elle.

La polyculture est donc de plus en plus valorisée chez les producteurs, même si Lili le reconnaît: "On ne fera pas des hectares entiers de banane."

Ses trois hectares de terre lui permettent de vendre la cinquantaine d'espèces qui y sont cultivées en circuit court, mais aussi chez quelques distributeurs et aux restaurateurs.

En Bretagne, après un travail de longue haleine, qui aura pris au total cinq ans, de la plantation au séchage, étape finale pour obtenir les gousses, les trois maraîchers ont produit entre 500 et 600 kg de vanille.

Bientôt de vraies filières d'espèces exotiques?

Ces volumes, qui restent modestes, ne permettent pas de réduire les coûts de production, bien plus élevés qu'à l'étranger. Résultat, les prix ne sont pas à la portée de toutes les bourses: 10 euros la gousse de vanille de Bretagne, contre cinq euros en moyenne pour une gousse de vanille de Madagascar vendue dans le commerce.

Les bananes des Pyrénées coûtent 12,5 euros le kilo, là où celles importées de Côte d'Ivoire ne sont qu'à 2 euros le kilo.

Mais qui sait si de véritables filières ne verront pas à l'avenir le jour? Elles permettraient de réduire les coûts et donc les prix de vente, comme c'est le cas pour le quinoa. En Anjou, ils sont désormais 350 à produire cette céréale, vendue sous différentes marques dans la grande distribution, autour de 8 à 10 euros le kilo. C'est, à peu de choses près, le même tarif que le quinoa du Pérou. Si bien que le quinoa "made in France" représente désormais 25% de notre consommation.

Cela peut sembler irréaliste et pourtant la tomate, la pomme de terre ou le maïs étaient à l'origine aussi des espèces tropicales, avant d'être largement implantées en France.

"On faisait bien pousser des ananas en métropole au 19e siècle, on n'a rien inventé!" conclut Lili Blandin.

Charlotte Méritan