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Vos comptes courants génèrent 15 milliards d'intérêts qui ne vous sont pas reversés, voici pourquoi

Une personne tendant un portefeuille rempli de billets (photo d'illustration).

Une personne tendant un portefeuille rempli de billets (photo d'illustration). - iStock

Alors que l'argent déposé sur votre compte courant génère bel et bien des intérêts, aucune banque traditionnelle ne vous les reverse. Cependant pour faire bouger les lignes, de plus en plus de banques en ligne lancent des offres de "comptes courants rémunérés".

En France, on a l'habitude de voir son argent placé sur ses livrets rémunérés avec des intérêts plus ou moins importants selon le placement (Livret A, LEP, LDDS...). En revanche, celui que l'on garde sur son compte courant ne rapporte rien. Alors même qu'il rapporte à votre banque!

En effet l'argent que vous avez sur votre compte principal, votre banque le place elle-même auprès de la BCE (banque centrale européenne). Et cette dernière rémunère ces fonds selon un de ses taux directeurs, celui dit de "facilité des dépôts", qui est actuellement de 2%.

Le Crédit Agricole, BNP Paribas, SG... Ces banques pourraient donc très bien vous reverser cet argent que la BCE leur confie. Mais aucune ne le fait. Cela pourrait toutefois changer...

Les néobanques ont fait bouger les lignes

Ces derniers mois, plusieurs acteurs bancaires se sont mis à proposer une rémunération des dépôts sur le compte principal de leurs clients. Celui qu'ils utilisent pour leurs transactions de tous les jours. La néobanque Sumeria (ex-Lydia) a été la première à lancer un produit bancaire de ce type, avec une rémunération de 2% bruts (et même 4% les trois premiers mois en cas de nouvelle souscription).

D'autres banques ont lancé des offres similaires: Revolut, N26, Trade Republic... Mais tous ces acteurs bancaires ont la particularité d'être des néobanques. C'est-à-dire des banques en ligne, mais qui se distinguent par le fait qu'elles ne dépendent pas de grands groupes bancaires. Pour rappel, BoursoBank est une filiale de SG, Hello bank! de BNP Paribas...

Une d'entre elles vient pourtant de passer le cap. Monabanq, filiale du Crédit Mutuel Alliance fédérale, a lancé en cette rentrée sa propre offre de compte courant rémunéré. Devenant ainsi la toute première banque en ligne au sens strict (filiale d'un grand groupe) à proposer un tel produit bancaire.

Une nouvelle impulsion avec le compte courant rémunéré de Monabanq ?

Réservée aux nouveaux clients de Monabanq, cette offre rémunère à 2% bruts et pendant 12 mois à compter de l'ouverture du compte les dépôts à hauteur d'un plafond de 4.000 euros. Ces intérêts sont par ailleurs calculés chaque jour (et non par quinzaine comme avec le Livret A par exemple). Et ils sont versés tous les trois mois, et non chaque année.

À l'échelle d'une année, ce compte courant pourrait donc rapporter au maximum 56 euros à un client qui garderait son compte courant au plafond de 4.000 euros. 4.000 x 2% = 80 euros, auxquels on doit déduire les 30% de flat tax, soit 56 euros. Pas une somme immense donc, mais toujours bonne à prendre quand on sait que les comptes courants ne rapportent rien habituellement.

On peut toutefois regretter le fait que cette offre ne soit réservée qu'aux nouveaux clients de Monabanq. Stéphane Kozlowski, leader "Acquisition et média" de cette banque en ligne s'en justifie.

"On souhaite d'abord tester l'attractivité d'un tel dispositif, avant d'en faire éventuellement quelque chose de plus large, de l'ouvrir à nos autres clients", explique-t-il à RMC Conso.

Une expérimentation donc, pour voir si une telle offre peut fonctionner et avoir vocation à se généraliser à tous les clients. Et pourquoi pas à toutes les banques à l'avenir?

La rémunération des comptes courants interdite en 1966

En effet, le fait que la filiale d'un grand groupe bancaire traditionnel se lance dans le compte courant rémunéré peut laisser penser que cette maison mère pourrait suivre un jour. Les différentes banques du Crédit Mutuel Alliance fédérale (Crédit Mutuel et CIC) pourraient-elles proposer un compte courant rémunéré à leurs millions de clients?

Contacté par RMC Conso à ce sujet, le groupe n'a pas répondu. Stéphane Kozlowski de Monabanq n'en sait pas plus non plus: "Au sein du groupe, chaque marque a sa propre stratégie et choisit de lancer ses propres offres. Nous notre positionnement au sein du groupe se veut innovant, impertinent".

Mais au juste, pourquoi les banques traditionnelles ne rémunèrent pas les comptes courants de leurs clients? Il y a plusieurs explications à ça. Pour comprendre la première, il faut faire un peu d'histoire bancaire. Et remonter jusqu'en 1966, année de la réforme Debré-Haberer qui a réorganisé le système bancaire français.

À une époque où les Français n'avaient pas de compte en banque, où ils recevaient encore leur salaire dans des enveloppes remplies de billets, le gouvernement a voulu changer tout ça. Et faciliter l'ouverture de comptes.

Pour cela, il a demandé aux banques de ne pas facturer certains services comme la tenue de compte ou les chèques. En contrepartie, il a consenti à interdire la rémunération des comptes courants. Et donc leur a permis de conserver la manne que représente cet argent versé par la BCE.

15 milliards donnés aux banques sur le dos des particuliers

À l'époque, tout le monde est gagnant. Sauf qu'entre-temps, les banques se sont mises à facturer de plus en plus de services. Et ce tout en ne rémunérant toujours pas les comptes courants...

Pour se rendre compte: d'après les chiffres de la Banque de France, 742,7 milliards d'euros dorment sur les comptes courants des Français. Grâce au taux de facilité des dépôts de la BCE qui est de 2%, cet argent rapporte donc un total de 14,9 milliards d'euros bruts aux banques qui tiennent ces comptes.

Cette situation est plutôt défavorable pour le consommateur. D'autant que l'interdiction de la rémunération des comptes courants fixée en 1966 a été levée en 2005. Les banques peuvent donc tout à fait reverser cet argent à leurs clients. Mais très peu l'ont fait.

Dans un article de Ouest-France sur le sujet, l'avocate en droit bancaire Aude Poulain de Saint-Père expliquait cela par le fait que "le monde bancaire est un oligopole". Personne n'aurait trouvé d'intérêt à ce que cette rémunération des dépôts se développe, car elle aurait fait perdre une manne donc chaque banque profite.

Une a bien tenté malgré tout: la Caisse d'Épargne a a été le premier grand réseau bancaire à franchir le pas en avril 2005. Avant d'abandonner assez rapidement. Cette offre de compte courant n'avait pas rencontré de franc succès.

La culture de l'épargne réglementée prédomine en France

Il faut dire que la France n'a pas tant cette culture du compte courant (checking account en anglais) rémunéré, comme elle existe dans d'autres pays comme le Royaume-Uni, aux États-Unis, en Espagne...

D'abord chez nous, l'épargne réglementée propose des produits assez forts. Le LEP par exemple, dont le rendement est nettement supérieur à celui de la BCE (2,7% nets actuellement). Et de plus les banques proposent d'autres types de placement comme les comptes à terme.

La demande d'une rémunération des comptes courants n'a donc jamais vraiment existé chez les clients bancaires français. Mais l'arrivée de ces nouveaux acteurs que sont les néobanques pourrait contribuer à créer cette demande. Stéphane Kozlowski de Monabanq le reconnaît lui-même.

"L'arrivée d'acteurs étrangers comme Revolut ou N26 a apporté un peu de cette culture du compte courant rémunéré. Et le marché, les clients, sont peut-être plus matures pour ce type d'offre".

Il reconnaît toutefois que nous ne sommes encore "qu'aux prémices" de ce changement. Avant que des banques traditionnelles se lancent, il faudra évaluer le succès des comptes courants rémunérés chez les banques en ligne.

Arthur Quentin