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Vote de confiance: avec l'incertitude politique, les Français vont moins consommer, plus épargner

Des consommateurs font leurs courses au supermarché Carrefour de Langueux, dans l'ouest de la France, le 29 janvier 2022. (Illustration)

Des consommateurs font leurs courses au supermarché Carrefour de Langueux, dans l'ouest de la France, le 29 janvier 2022. (Illustration) - DAMIEN MEYER / AFP

Les chocs politiques comme la dissolution de juin 2024 ont généralement un impact négatif sur la consommation. Les nouvelles incertitudes qui plânent avec la probable chute du gouvernement poussent les Français à être encore plus prudents avec leur argent.

Dissolution, censure du gouvernement Barnier, et bientôt (peut-être) chute de celui Bayrou? En à peine plus d'un an, la France aura connu son lot de chocs politiques. Une situation de crise quasi perpétuelle, qui a un certain impact sur la manière qu'ont les Français d'utiliser leur argent.

Le dépenser, ou l'épargner? Alors que l'inflation a considérablement ralenti, on pourrait se dire que les consommateurs allaient se remettre à choisir la première de ces deux options. Et pourtant le taux d'épargne des ménages, c'est-à-dire la part de leur revenu disponible qu'ils placent, n'a jamais été aussi haut. Au deuxième trimestre 2025, il s'est établi à 18,9% d'après l'Insee.

Et cela devrait durer. Alors même que septembre est un mois de dépenses, l'économiste et directeur du Cercle de l'épargne Philippe Crevel ne voit pas ce taux diminuer.

"Avec le coût de la rentrée scolaire ou encore les impôts locaux, les ménages sont habituellement obligés de bien réduire leur part de revenu consacrée à l'épargne. Cette année ce ne devrait pas être le cas. Le taux d'épargne n'augmentera peut-être pas, mais il restera beaucoup plus stable que les autres années", prédit-il.

Le vieillissement de la population incite à l'épargne

Mais comment l'expliquer? Le contexte politique suffit-il à lui seul à expliquer les changements de comportement des consommateurs français? Pour l'économiste, ces événements conjoncturels que représente la crise politique s'ajoutent à d'autres plus structurels.

Le fait que la population vieillisse par exemple. Lorsque l'on approche de la retraite, on est naturellement plus enclin à préserver son argent, le mettre de côté pour quand on ne travaillera plus. De plus en plus de personnes se retrouvent dans cette situation, ce qui est de nature à augmenter le taux d'épargne.

Mais ce phénomène est encore amplifié par le contexte actuel marqué par ses incertitudes, qu'elles soient économiques ou politiques. Le Cercle de l'épargne réalise chaque année une enquête sur "Les Français, l'épargne et la retraite". Son édition 2025 montre que l'on est plus soucieux que jamais.

L'étude nous dit notamment que 72% des non-retraités jugent que les pensions ne sont pas ou ne seront pas suffisantes pour garantir un niveau de vie correct à la retraite. Et 62% des Français considèrent qu’il faut épargner pour la retraite avant 35 ans. Pour Philippe Crevel, cette inquiétude croissante est bien corrélée à la situation politique.

"Lorsque la situation financière est dégradée comme c'est le cas actuellement, on se dit qu'il y aura des impôts à venir et qu'il faut mettre de l'argent de côté. C'est un phénomène très psychologique, certes. Mais qui se constate de tout temps", remarque-t-il.

Les Français plus frileux dans leurs achats

Plusieurs dirigeants de la grande distribution constatent aussi une évolution de nos comportements lors des crises politiques. Et ils sont plutôt bien placés, puisque c'est dans leurs enseignes que les Français effectuent la plupart de leurs achats.

Auprès du journal Le Monde, le patron de Coopérative U Dominique Schelcher remarque que les clients achètent, "mais sans insouciance". C'est-à-dire qu'ils viennent toujours autant en magasin, mais sont à l'affût de toutes les promos. "Le pouvoir d'achat reste la préoccupation numéro un".

En octobre 2024, quelques mois après la dissolution, le même Dominique Schelcher faisait déjà ce constat sur Radio Classique. "Les Français sont préoccupés, les Français épargnent. Ils savent que l’endettement est incroyable, qu’il va falloir trouver des solutions de financement qui vont passer par l’impôt, et donc ils économisent et ils consomment moins", résumait-il.

En économie, il existe d'ailleurs un indice qui permet très précisément de mesurer l'impact que peut avoir une certaine instabilité politique sur la consommation. Ainsi que le niveau de moral des Français. Il s'agit de l'indice de confiance des consommateurs, mesuré chaque mois par l'Insee.

Ce mois d'août 2025, cet indice vient de replonger et atteint son plus bas niveau depuis octobre 2023. À l'époque les ménages étaient encore bien frappés par l'inflation. Il est plutôt notable, et inquiétant, de voir que l'on atteint ce niveau alors que la hausse des prix à la consommation n'est "plus que" de 0,9%.

Anticipation de la rigueur budgétaire

Le plan du gouvernement pour réaliser 43,8 milliards d'euros d'économies a donné des sueurs froides à beaucoup Français. Hausse des impôts, suppression de certaines aides et non augmentation d'autres... Tout cela joue énormément sur le choix des Français de ne plus dépenser.

Et on aurait pu penser que justement, l'idée de voir ce gouvernement tomber pourrait les rassurer. En effet, il emporterait dans sa chute ce projet de budget. Et qui sait, le gouvernement suivant pourrait être plus clément à l'égard du pouvoir d'achat? Mais cela serait être un peu optimiste...

"Les Français sont certes majoritairement opposés au plan de François Bayrou, ils savent que les économies budgétaires sont inévitables. Et que même si le gouvernement est censuré, ils feront les frais de la rigueur budgétaire", tempère Philippe Crevel.

La consommation n'est donc pas prête de repartir... Et la dynamique d'épargne des Français devrait continuer voire s'amplifier. Elle pourrait toutefois évoluer.

L'épargne réglementée délaissée

Alors que depuis le début de la crise inflationniste elle avait fait la part belle à l'épargne réglementée (Livret A, LDDS, LEP...), elle pourrait lui préférer d'autres placements. La rémunération du Livret A n'est plus si intéressante depuis la nouvelle chute de son taux (à 1,7%). Et l'assurance-vie, avec sa rémunération plutot stable, en profite et voit son encours augmenter.

Remarquons tout de même que l'incertitude politique peut donner lieu à des comportements incohérents. Dans un récent reportage de Franceinfo, une épargnante affirmait avoir "vidé son Livret A" pour garder toute cette somme (20.000 euros) sur son compte courant. Au prétexte elle aurait entendu que, pour rembourser la dette, le gouvernement pourrait piocher dans l'épargne des Français.

En ces temps toublés, rappelons que si le gouvernement peut bien flécher l'argent placé sur un livret vers des investissements, il ne peut sous aucun prétexte le prélever directement. Le droit de propriété est effectivement protégé par la Constitution française. Et les fonds déposés sur des comptes bancaires, des livrets réglementés ou des assurances-vie restent pleinement la propriété des épargnants.

Arthur Quentin