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"J'ai dit à la CPAM que j'allais me foutre en l'air": un bug laisse 15.000 assurés sans ressources

La porte d'entrée d'une caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), photo d'illustration.

La porte d'entrée d'une caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), photo d'illustration. - FRED DUFOUR / AFP

Des milliers de personnes en arrêt ne reçoivent pas leurs indemnités journalières à cause d'Arpège, un logiciel expérimenté par l'assurance maladie en Vendée et en Loire-Atlantique. La CNAM prévoit malgré tout de le généraliser dans toute la France.

Magali Mazoué, qui souffrait d'un problème à l'épaule depuis plusieurs années, pensait que ses soucis allaient se dissiper une fois son opération passée. À la place, ils ont repris de plus belle.

Après cette intervention le vendredi 13 septembre 2024 (ça ne s'invente pas), cette chargée de clientèle vivant à Ancenis en Loire-Atlantique est d'abord mise en arrêt. Puis reprend son activité en mi-temps thérapeutique à partir du 9 décembre. "C'est là que les galères ont vraiment commencé", souffle-t-elle.

À cause de dysfonctionnements de sa caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), elle n'a pas reçu les indemnités auxquelles elle avait droit. Qui représentent donc tout de même la moitié de son salaire.

"J'ai dû les appeler une vingtaine de fois entre janvier et avril car je n'étais pas du tout payée sur cette période", relate Magali Mazoué à RMC Conso.

Elle a finalement bien reçu un versement en avril, mais seulement de 300 euros. Pas de quoi combler le manque d'argent créé par le fait de ne percevoir que la moitié de son salaire. "Avec mon mari nous avons un crédit à rembourser pour notre maison. Tous les mois c'est la galère, je suis constamment à découvert", regrette celle qui, pour rééquilibrer sa situation financière, n'a pas eu d'autre choix que de reprendre son travail à plein temps. Alors même que son médecin le lui a contre-indiqué.

Un logiciel payé 37 millions d'euros

Magali n'est pas la seule dans cette situation. Comme elle, des milliers d'assurés de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) font les frais de l'expérimentation d'un logiciel dans deux départements. "Arpège" est un outil informatique conçu pour remplacer l'actuel système de paiement des indemnités journalières (IJ).

D'après Le Canard Enchaîné, la Cnam aurait déboursé 37 millions d'euros pour que le cabinet de conseil en informatique Sopra Steria développe ce logiciel. Qui s'avère un fiasco total. Testé depuis l'automne en Loire-Atlantique (44) et en Vendée (85), il présente d'importants dysfonctionnements dans le traitement de mi-temps thérapeutiques comme pour Magali. Mais aussi d'accidents du travail, ou encore de maladies professionnelles.

Résultat, plus de 15.000 assurés de ces deux départements subissent encore aujourd'hui des troubles dans le versement de leurs IJ. Certains mois elles tombent, mais leur montant ne correspond pas à ce qui est normalement dû. Et certains autres, rien.

Les assurés se retrouvant dans une situation délicate font des réclamations auprès de leur CPAM. Et ces dernières leur versent, parfois au compte-gouttes, des acomptes. Tout juste de quoi subsister pour les assurés pour qui ce bug informatique a le plus de conséquences.

Des victimes précaires

Magali Mazoué d'Ancenis dit bien que cette situation l'a éprouvée. "Vous n'imaginez pas le nombre de fois où j'ai appelé la CPAM en pleurant, pour leur dire que j'allais me foutre en l'air. L'aspect financier est dur, mais c'est surtout celui psychologique qui pèse. Se retrouver à faire ses comptes en permanence, c'est angoissant".

Néanmoins, elle qui a un mari percevant une retraite et pas d'enfant à charge s'estime encore chanceuse. Des personnes plus précaires victimes de ce bug d'Arpège subissent bien plus encore cette situation.

C'est le cas par exemple de Pascale Goilot. Cette Vendéenne est au chômage après un burn-out (donc également assurée de la Cnam), et son mari, peintre en bâtiment, s'est fait diagnostiquer une maladie professionnelle et est en arrêt maladie depuis mars 2024. Jusqu'en septembre, il a perçu correctement ses IJ. Mais depuis, c'est un enfer.

Pendant plusieurs mois, ils ne touchent rien ou alors beaucoup moins que ce qu'ils doivent recevoir. Des milliers d'euros, qui chaque mois ne tombent pas. Face à cette situation précarisante, ils sollicitent la CPAM du 85. Des galères administratives se traduisant par des appels, des documents à retrouver et envoyer pour justifier leur situation, des mails à rédiger... Qui permettent tout de même de percevoir un acompte de 4.000 euros en avril.

Une somme qui leur a surtout servi à rembourser toutes les factures qu'ils avaient des mois passés, et qu'ils n'avaient pas pu payer. L'électricité, le remboursement de leur prêt... Pour alléger ces dettes, ils ont même été contraints de faire une croix sur certaines choses pourtant élémentaires.

"Notre maison n'est plus assurée, on ne pouvait plus payer les mensualités", déclare Pascale Goilot à RMC Conso".

Un collectif de victimes créé

Pour éveiller les pouvoirs publics sur sa situation invivable, et rassembler d'autres personnes dans des galères similaires elle a fondé un collectif: "Arpège, non merci!". Un groupe Facebook lui est associé, sur lequel près de 1.400 victimes relatent leurs soucis et s'entraident pour y faire face.

Sandrine Gadet fait partie des autres fondateurs du collectif et des membres les plus actifs de ce groupe. Cette journaliste à France 3 Pays de la Loire, elle-même en mi-temps thérapeutique, a beaucoup contribué à médiatiser l'affaire et à alerter les pouvoirs publics. En incitant notamment les victimes à porter plainte, à aller en référé.

"On ne peut pas se contenter de se plaindre sur Facebook. Il faut mettre une pression judiciaire, mettre la Cnam sous astreinte", affirme-t-elle.

Cela commence à porter ses fruits: les députés de Loire-Atlantique et de Vendée ont notamment été interpellés. Un de ces derniers, Pierre Henriet, a interrogé le ministre de la Santé, Yannick Neuder, lors d'une question au gouvernement en mars dernier. Il a notamment reconnu qu'avec ce logiciel Arpège, "les résultats ne sont pas au rendez-vous".

Mais a également insisté sur la réaction "à peu près dans les temps" de son ministère. Et sur le fait que des acomptes aient été versés à 41.600 personnes en Loire-Atlantique, 15.600 en Vendée.

Le versement d'acomptes, pas une solution

Contactée par RMC Conso, la Cnam rappelle tout d'abord que ces dysfonctionnements ne concernent pas tous les assurés de ces départements. "Arpège a payé plus de 386.545 arrêts de travail depuis son introduction en octobre 2024, soit plus de 420 millions d’euros en date, au 10 juin".

L'assurance maladie souligne ensuite aussi avoir pris en charge les victimes en versant des acomptes. En tout plus de 90.000, pour un montant de 68 millions d'euros. "En moyenne les acomptes représentent plus de 90% de la somme que les assurés auraient dû toucher si leur dossier avait été traité sans incident", tempère la Cnam.

Mais Sandrine Gadet souligne que ce versement d'acomptes est loin d'être une panacée. Ces sommes d'argent ne sont pas indiquées sur les comptes Ameli des assurés comme des IJ. Or, dans beaucoup d'entreprises, les salariés en arrêt ou en mi-temps thérapeutiques sont pourvus par une prévoyance qui est calculée en fonction des IJ. Justifier auprès de cet organisme de prévoyance qu'un acompte reçu était bien une indemnité est un parcours du combattant.

De même, le fait d'être payé en acomptes pose des soucis pour déclarer ses revenus aux impôts. Ou alors faire des demandes auprès de la CAF pour obtenir des aides sociales. Ces dernières sont pourtant essentielles pour les victimes les plus précaires de ce bug.

Arpège déployé dans toute la France en 2026

Parmi les autres victimes d'Arpège, figurent également les salariés des CPAM de Vendée et Loire-Atlantique, qui se retrouvent à devoir gérer des situations parfois chaotiques. Et devant lesquelles ils sont impuissants.

"Certains agents d'accueil des CPAM sont confrontés chaque jour à des témoignages de détresse, parfois des menaces de suicide. Forcément, ça affecte. On ne peut pas rester insensible à ça", soupire Pascal Cayeux, délégué CGT à la CPAM 44.

Lui est agent en charge du traitement des indemnisations à la CPAM de Saint-Nazaire. Il est donc amené à utiliser chaque jour ce nouveau logiciel, qu'il décrit comme un automate qu'ils sont chargés d'alimenter pour qu'il s'occupe (qui plus est mal) de tout le reste.

Un travail selon lui aliénant, là où auparavant ils devaient se pencher sur des dossiers spécifiques. "C'était un métier intéressant. Mais aujourd'hui on fait un travail tout pourri", regrette-t-il.

Arpège suscite donc des oppositions de toutes parts. Malgré tout, il est bien prévu qu'il soit généralisé à l'ensemble des CPAM. Cela était initialement prévu pour 2025. Ce déploiement est finalement reporté à 2026, "le temps de corriger tous les dysfonctionnements", assure la Cnam.

Arthur Quentin