Ces "métiers à la con" que fuient les nouvelles générations de diplômés

- - AFP
"On voit depuis des années déferler une vague de jeunes urbains diplômés qui quittent leur emploi pour satisfaire une envie de faire, de réaliser quelque chose de concret plutôt que de gaspiller leur temps dans un emploi de cadre ou profession intellectuelle supérieure", écrit le journaliste Jean-Laurent Cassely dans son livre La révolte des premiers de la classe. Métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines (éd. Arkhé). Il explique les raisons de ce mouvement impulsée par les nouvelles générations de jeunes diplômés.
"Les nouvelles générations de jeunes diplômés fuient les 'métiers à la con' (les bullshit jobs, en anglais), dans le sens où ils paraissent n’avoir aucune utilité sociale et n'apportent que peu de satisfaction personnelle. Il s’agit souvent d'emplois dans le marketing, la finance, la communication, le conseil… Tous ces métiers où l'on ne produit rien de concret ni de visible finalement (ils peuvent pourtant être utiles, mais on en perçoit difficilement l’apport).
Le prisme de la réussite a changé. Aujourd'hui, dire: 'Je fais des tartes', 'des quiches' ou 'je vends des fromages', peut être plus valorisant que de bosser derrière un ordinateur dans un open-space, et puis ça fait des jolies photos sur Instagram. Et quand on en parle en soirée, les gens comprennent ce que l'on fait et voudraient faire comme nous. Alors que si vous dites que vous êtes consultant en transition numérique, les gens ne comprennent rien et ça ne les fait pas rêver.
"Sentiment qu'à diplôme équivalent, on vit moins bien que nos parents"
Il y a deux facteurs qui expliquent ce mouvement de fuite. D'abord, c'est l'absence de réalisation au travail, puisque l'environnement professionnel d'un cadre supérieur a beaucoup évolué et n'est pas forcement enrichissant: il y a beaucoup de process, de réunions, peu de réalisations concrètes, des politiques internes et de management fluctuantes…
Et puis il y a ce sentiment de déclassement, avec cette impression qu'à niveau de diplôme équivalent, on ne vit pas aussi bien que nos parents. Il y a une massification scolaire immense qui a tendance à dévaloriser le diplôme. Avoir un diplôme d’études supérieures protège du chômage, c'est nécessaire mais plus seulement suffisant.
La carrière de cadre est aussi beaucoup moins intéressante qu'avant, les écarts de rémunération avec les postes peu qualifiés se sont réduits, et les conditions de travail ont tendance à être plus désagréables. Donc face au déclassement social et à cet avenir bouché, les nouvelles générations ont moins à perdre qu'avant à changer brutalement d'orientation. C'est pour cela qu'ils sont plus nombreux et plus jeunes à le faire. La génération des quadragénaires et des quinquagénaires pouvait estimer que le compromis travail ennuyeux / bonne situation en valait la peine mais eux, finalement ne renoncent pas à grand-chose.
"Ne plus perdre sa vie à la gagner"
Ces jeunes ne veulent plus perdre leur vie à la gagner, comme le disait Marx. Ils veulent s'épanouir dans leur travail. Et la solution pour ces générations, c'est le petit commerce, la restauration, la cuisine, les services de proximité, comme pour d'autres générations c'était les chambres d'hôtes ou le retour à la terre. Aujourd'hui, c'est d'ailleurs un thème qui est traité comme un nouveau modèle à suivre: il y a un prestige à ouvrir un restaurant, à ouvrir un bar ou à devenir artisan. Plus fort en tout cas que de dire: 'je travaille dans un cabinet de conseil ou dans une entreprise du Cac 40'.
C'est un mouvement qui part d'en haut pour une raison essentielle: le changement d'aspiration est porté par ces populations pas forcément toutes riches, mais qui ont en commun d'avoir un haut niveau de diplôme. Elles sont pionnières de ces nouveaux mouvements de consommation (le bio) et de ces modes de travail alternatif (le coworking), de ces envies de faire autre chose. Un profil qu'on retrouve d'ailleurs dans le numérique. C'est une avant-garde, qui a les moyens et les ressources culturelles pour porter ces évolutions. Mais ce mouvement ne sera pas limité à ces 'premiers de la classe'."
