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Affaire Sarah Halimi: pourquoi l’irresponsabilité pénale de son meurtrier présumé ne passe pas

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EXPLIQUEZ-NOUS - Dimanche, aura lieu une manifestation à Paris. Et cette semaine, la sœur de Sarah Halimi a décidé de porter plainte en Israël pour tenter d'obtenir un procès.

C’est une affaire qui empoisonne les relations entre la France et Israël depuis maintenant quatre ans. La décision de la Cour de cassation la semaine dernière de ne pas juger le meurtrier présumé de Sarah Halimi a fait beaucoup réagir la communauté juive, notamment. C’est l’"échec du système judiciaire français", a même déclaré le Congrès juif européen.

La sœur de Sarah Halimi qui est citoyenne israélienne, a décidé de saisir la justice de son pays. Car la loi pénale d’Israël peut s’appliquer à des crimes antisémites commis à l’étranger. Mais cette plainte, c’est surtout un coup de pression mis sur la justice et les députés français. Ce procès n’aura jamais lieu en Israël. Le meurtrier présumé est français et la France n’extrade jamais ses ressortissants.

La nuit du 4 avril 2017 dans le quartier de Belleville à Paris. Kobili Traoré, 27 ans, de confession musulmane, fait irruption chez sa voisine Sarah Halimi, 65 ans. Il la roue de coups en récitant des versets du Coran, en criant "Allah Akbar" avant de la jeter par-dessus le balcon de leur HLM, en s’exclamant “J’ai tué le démoné. Sarah Halimi va mourir sur le coup.

Pourquoi la Cour de cassation a-t-elle décidé qu’il n’y aurait pas de procès dans cette affaire ?

Parce que Kobili Traoré a été considéré comme irresponsable pénalement. Sept experts différents l’ont examiné et six d’entre eux ont conclu qu’il était en proie, ce soir-là, à une bouffée délirante. Ça équivaut à de la folie. Et la justice française a un principe fondateur: on ne juge pas les fous.

En proie à une bouffée délirante?

C’était un gros consommateur de cannabis. Il n’allait pas bien depuis plusieurs jours. Ce soir-là, il prend du cannabis, et ce cannabis aurait provoqué chez lui ce qu’on appelle un trouble psychiatrique inattendu.

Ça ne veut pas dire que si on est saoul ou drogué, on n’est pas responsable de ses actes. Quand vous êtes saoul ou drogué, volontairement, la justice estime que vous devez anticiper les effets de votre consommation de drogues, d’alcool ou de psychotropes. Donc, dans un accident de voiture par exemple, être ivre ou se droguer est une circonstance aggravante.

Dans le cas de Kobili Traoré, la cour estime que son trouble était inattendu. C’était en effet la première fois qu’il faisait ce type de crise après avoir pris du cannabis. Il ne pouvait donc pas anticiper ce qui allait arriver. Mais le caractère antisémite de son meurtre a tout de même été retenu. 

Comment, peut-il être considéré ce soir-là à la fois comme irresponsable, mais quand même comme antisémite ?

C’est une excellente question, qui alimente forcément l’amertume actuelle devant cette décision. Une Cour de cassation, elle ne juge pas sur le fond, elle vérifie juste que le droit a été respecté. Et dans la loi française, on ne juge pas les fous. Kobili Traoré a bien été déclaré fou au moment de son meurtre. Le droit est donc respecté.

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Sur le caractère antisémite de son acte, la Cour de cassation n’a fait que valider les décisions antérieures. Et selon les conclusions du médecin-expert, Kobili Traoré a été pris d'un "délire persécutif polymorphe, à thématique mystique". En clair, ça veut dire qu’un “simple préjugé" antisémite s'est transformé "en conviction absolue" dans un délire mystique.

D’ailleurs, il a déclaré lors d’une audience il y a deux ans: “Ce que j'ai commis, c'est horrible. Je regrette ce que j'ai fait”. “Je pensais que j'étais pourchassé par le démon”.

Il a quand même décidé de prendre du cannabis. Et quand on prend du cannabis, on s’expose à des réactions incontrôlées. C’est bien là toute la question. La loi, aujourd’hui, ne distingue pas le fou qui a une maladie mentale et le fou qui le devient parce qu’il a décidé, consciemment, de prendre une drogue.

C’est pour ça que des sénateurs et un député ont déposé une proposition de loi. Emmanuel Macron lui-même a demandé au ministre de la Justice de présenter au plus vite un changement de la loi.

La famille de Sarah Halimi va saisir la Cour européenne des droits de l’homme, considérant que la France n’a pas respecté son “droit au procès”. Un arrêt de cette cour peut conduire la justice française à revoir sa décision. En attendant, Kobili Traoré est actuellement en hôpital psychiatrique. Il est astreint à des mesures de sûreté pendant 20 ans.

Bérengère Bocquillon