RMC
International

La France a "répandu" l’analphabétisme en Algérie: vrai ou faux?

placeholder video
"EXPLIQUEZ-NOUS" - Ce week-end, nouveau coup de froid entre la France et l’Algérie. Un conseiller présidentiel algérien a accusé la France d’avoir répandu l’analphabétisme en Algérie.

L’ambiance n’est pas au beau fixe entre la France et l’Algérie, c’est le moins qu’on puisse dire. La semaine dernière, le voyage officiel de Jean Castex en Algérie a été annulé. Quelques jours avant, une déclaration avait mis le feu aux poudres: le ministre du travail algérien a qualifié la France “d’ennemi traditionnel et éternel de l’Algérie”.

Et nouveau coup de scalpel ce week-end avec ces déclarations du conseiller pour les questions mémorielles du régime: "Le taux d’analphabète n’était que de 20% en Algérie en 1830”. 1830, c’est la date du début de la colonisation française. Il ajoute que “la France a éliminé les Algériens qui lisaient et écrivaient…"

20% d’analphabètes en 1830 en Algérie, ça veut dire que 80% de la population algérienne savait lire à cette époque-là, est-ce possible?

Ce chiffre est faux. Même si c’est très compliqué de savoir combien de personnes savaient lire à l’époque en Algérie. On estime qu’en 1830, le taux d’alphabétisation en Algérie est comparable à celui de la France. A cette époque-là, moins de 40% des Français savaient signer un document.

Et puis ce qu’on sait, surtout, c’est qu’aujourd’hui, d’après les derniers chiffres qui datent de 2015, il y a 20% d’analphabètes en Algérie. Ils étaient évidemment beaucoup plus nombreux en 1830, comme dans tous les pays du monde.

Est-ce que la France fait construire des écoles pour les enfants d’Algérie?

Au départ, la France laisse les écoles traditionnelles d’Algérie fonctionner, celles qui existaient déjà, et crée ses propres écoles, réservées aux pieds-noirs, à quelques exceptions près.

Kamel Kateb, qui est chercheur à l’Ined, explique qu’au départ, la colonisation va faire régresser le système éducatif algérien. La colonisation est un tel bouleversement qu’on a autre chose à faire, en gros, que de s’occuper des écoles. Ensuite, assez vite, des écoles arabes-françaises vont être créées pour les enfants d’Algérie, mais ce ne sera jamais une réussite. 

Beaucoup d’instituteurs critiquent une instruction au rabais dans ces écoles. Elles bénéficient de moins de moyens que les autres. Et même si certaines circulaires, après la Seconde Guerre mondiale par exemple, veulent pousser plus d’enfants d’Algérie dans les écoles, les taux de scolarisation resteront toujours assez médiocres.

Donc leur colère concernant l’effet de la colonisation sur l’analphabétisme est-elle justifiée? La France aurait pu en faire beaucoup plus sur l’instruction des enfants d’Algérie. Mais le pouvoir algérien donne quand même des chiffres qui sont faux, totalement exagérés.

Et exagérer les chiffres, c’est une tactique banale du régime. Les militaires au pouvoir dénonçaient encore il y a quelques semaines les “millions de martyrs algériens de la guerre d’indépendance”. Ils répètent sans cesse le chiffre d’un million ou un million et demi de morts pendant la guerre d’Algérie alors que tous les historiens s’accordent sur un chiffre qui est 4 à 5 fois moins élevé.

Pourquoi nos relations avec l’Algérie sont-elles toujours aussi tendues?

C’est assez simple. L'Algérie, aujourd'hui, a un président mal élu, avec 60 % d’abstention. Et puis une véritable opposition. Tous les vendredis depuis deux mois, il y a des manifestations. Vendredi dernier, ils étaient des milliers dans les rues d’Alger pour réclamer la libération d’opposants.

Et quand le pouvoir est fragilisé comme ça, il n’y a rien de mieux que de désigner un ennemi commun, et cet ennemi idéal, c’est la France. C’est d’ailleurs pour ça que le ministre du travail algérien a qualifié la France d’ennemi éternel.

L’historien Benjamin Stora a pourtant rendu un rapport en janvier dernier sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Mais ce rapport a été accusé par les Algériens d’être “franco français”. Le rapport Stora formulait pourtant plusieurs propositions qui répondent à des demandes des Algériens comme un accès aux archives sur la guerre d’Algérie par exemple. Et puis vous vous souvenez qu’Emmanuel Macron a parlé de crime contre l‘humanité pour qualifier la colonisation en Algérie. Mais rien ne semble pouvoir détendre nos relations.

L’an prochain, l’Algérie fêtera le 60ème anniversaire de l’indépendance du pays. Une fête qui pourrait donc tourner au cauchemar diplomatique.

Bérengère Bocquillon