Trafic de stups et insécurité dans le Nord de Paris: "On dirait qu'il y a une volonté politique de laisser le crack dans le quartier"
Face à la situation impossible et à l'inaction des pouvoirs publics qu'ils dénoncent, des riverains du quartier de Stalingrad, dans le nord de Paris, s'en sont pris plusieurs fois pendant le week-end aux toxicomanes qui investissent l'espace public à la nuit tombée et provoquent de nombreuses nuisances depuis plusieurs années dans le quartier. Plusieurs tirs de mortiers vers un immeuble, point de rendez-vous des toxicomanes, ont été filmés et partagés sur les réseaux sociaux.
Car la situation est invivable dénoncent des associations de riverains: "On n'est pas absolument sûr que des habitants soient à l'origine des tirs de mortiers mais il y a de fortes présomptions parce qu'on a tout vu et ça le laisse présager. Ça fait des années qu’on est livrés à nous-même. On vit des choses inacceptables", déplore ce mardi sur RMC Caroline, habitante du quartier et membre du collectif Action Stalingrad.
"En journée Stalingrad est un quartier sympa. Mais dès que les rues se vident des habitants, il n’y a plus que cette population fragile de toxicomanes qui consomment de la drogue, se battent, mettent de la musique, font aboyer les chiens. Ce sont des gens qui n'ont pas forcément de domicile. Ils restent là toute la nuit, toutes les nuits. On ne parle pas d’une dizaine de personnes mais de 3 à 400 personnes au pied des immeubles. On ne dort plus, il y a un stress, il y a une fatigue à la longue, une exaspération, un désespoir", décrit-elle.
"Un problème pénal, sanitaire, d'ordre public, social"
Conséquence, le quartier se vide de sa population, entraînant le départ des familles et laissant sur place les plus pauvres, dans l'impossibilité de déménager ailleurs, intensifiant la "ghettoïsation" de Stalingrad: "C’est très difficile pour des parents d’expliquer ce que l’on voit dans la rue à ses enfants, c'est une misère extrêmement violente. Il y a beaucoup de familles qui quittent Stalingrad. On va se retrouver de plus en plus sur un quartier qui perd de son âme et se ghettoïse", ajoute Caroline.
Un sentiment d'abandon que reconnaît la police qui est intervenue cette nuit-même pour tenter de déloger une cinquantaine de personnes sur la voie publique où ont été visés des toxicomanes ce week-end: "On a une forme d'inefficacité, il faut s'en expliquer", reconnaît sur RMC David Le Bars, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale. "C'est bien, la police déloge et cela prouve qu'elle agit mais si l'on pense que la police va résoudre le problème, on se trompe, on va échouer comme on échoue depuis une quinzaine d'années. C'est un problème pénal, sanitaire, d'ordre public, social.
"La police intervient pour la vente drogue, l'usage, elle identifie les vendeurs mais si on ne fait pas un travail de fond en expulsant les vendeurs et qu’on ne prend pas en charge les consommateurs sanitairement en les soignant, on ne règlera pas le problème de ces gens qui hurlent toute la nuit parce qu’ils consomment une drogue extrêmement dure, les riverains ne vont plus tenir", plaide le policer.
Des pouvoirs publics hypocrites ?
Policiers et riverains pointent du doigt les pouvoirs publics locaux, alors que l'ancien lieu de consommation, la colline du crack, a été démantelée il y a deux ans: "Le trafic de stups et de crack à Stalingrad, il ne s'arrête pas il se déplace", prévient David Le Bars. "Le démantèlement de la colline du crack, ça a été le retour à la case départ à la case enfer pour les habitants de Stalingrad. À partir du moment où ils ont été expulsés de la colline du crack, ils sont revenus à Stalingrad, le lieu historique de consommation", raconte Caroline. "Tout le travail effectué par le précédent maire (Bertrand Delanoë ndlr) en ouvrant des commerces a été réduit à néant par le démantèlement sans qu'il n'y ait quoi que ce soit derrière. Nous les Parisiens, la colline du crack ne nous dérangeait pas mais tout cela était visible par les touristes arrivant directement de Roissy. Dans la semaine ils sont revenus à Stalingrad".
Résultat, la mairie de Paris est taxée d'hypocrisie. Et les pouvoirs publics sont accusés de vouloir laisser le crack à Stalingrad malgré 30 ans de "plans crack" sans coordination: "On dirait qu'il y a une volonté politique de laisser le crack à Stalingrad. C'est un quartier populaire, il y a 42% de logements sociaux. Les gens, quand ils ont un logement ici, ils ont beaucoup de problèmes pour se reloger ailleurs à Paris. C’est un endroit où les gens ont l’habitude de subir l’insécurité, la saleté et là, ils subissent le manque de sommeil récurrent", croit savoir Caroline.
"Est-ce que vous pensez que 3 à 400 personnes pourraient rester une nuit aux abords du jardin du Luxembourg et au Trocadéro?", interroge-t-elle.
Quelles solutions?
Mais le problème concernerait toute l'agglomération parisienne: "Quand on déloge les habitants de Stalingrad, ils vont autour de la gare de Saint-Denis et cause des nuisances là-bas", raconte David Le Bars qui plaide également pour une action coordonnée de tous les pouvoirs publics.
"On ne peut pas avoir des associations qui distribuent des pipes à crack contre l'hépatite C et des policiers qui interpellent les consommateurs. Il faut une action pénale très forte au sommet de la pyramide : renvoyer les dealers chez eux quand ils sont en situation irrégulière. Il faut une action sociale et médicale sur les consommateurs livrés à eux-mêmes. Certains sont récupérables, le traitement global des toxicomanes n'est pas suffisamment efficace".
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