“Je regrette, c’était bête”: RMC au procès d’un mineur impliqué dans les émeutes à Bobigny après la mort de Nahel

Normalement, la justice des mineurs se rend à huis clos, mais RMC a obtenu l’autorisation de suivre l’audience de sanction d’Adel* pour violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique, le 29 mai dernier, au tribunal judiciaire de Bobigny.
Le 6 juillet 2023, Adel* était déféré devant le parquet des mineurs en application d’une circulaire d’Éric Dupond-Moretti qui avait demandé le déferrement systématique des mineurs interpellés dans le cadre des émeutes. L’adolescent de 14 ans était poursuivi pour violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique avec arme par destination et en réunion pour avoir lancé une bouteille en direction de policiers en Seine-Saint-Denis le 29 juin 2023.
Depuis, Adel* a été reconnu coupable lors d’une première audience le 15 novembre dernier. Mais comme les procès des mineurs se passent en deux temps, six mois plus tard, Adel* et sa mère ont, de nouveau, été convoqués devant le juge des enfants pour que la justice prononce une sanction.
"Je regrette"
L’audience a lieu en chambre du conseil, pas de robe noire, mais un magistrat en civil accompagné de sa greffière dans un petit bureau de 10m². Face à eux : Adel, sa mère, son avocate Me Pauline Bouvet et une éducatrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Malgré le cadre plus intimiste qu’un prétoire, l’audience reste codifiée, solennelle:
“Monsieur, vous comparaissez aujourd'hui dans le cadre d'une audience sur la sanction”, lui rappelle le juge des enfants Jean Mesure.
“Pour rappel, on était le 29 juin 2023 aux alentours de 23h, dans le contexte des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel Merzouk à Nanterre, avec des barricades et des jets de projectiles sur les policiers. En garde à vue, vous aviez reconnu que vous aviez personnellement pris une bouteille au sol et jeté la bouteille dans la direction des policiers. Je précise, ajoute le magistrat, que dans cette procédure, les policiers en question n'ont jamais été identifiés”. Il n'y a, en effet, pas de partie civile à l'audience.
“Qu'est-ce que vous souhaitez dire aujourd'hui par rapport à ces faits? Six mois plus tard?”, demande le juge des enfants. “Que je regrette, répond Adel, que j'ai compris qu'on ne pouvait pas se faire justice à nous-mêmes. C'était bête”. “L’effet du groupe ?”, questionne le juge. Il répond: “C’est ça”.
“Qu'est-ce que vous feriez si vous vous retrouviez à nouveau dans cette situation? Si vous vous retrouvez à côté d'une scène de violences ou d'émeutes en milieu urbain comme ça, que faites-vous?”. “Je reste chez moi”, assure Adel. Le juge poursuit: “Bien, c'était, je crois, les consignes de la maman à l'époque déjà de rentrer avant 21 h”.
Adel n'a pas pu rencontrer d'éducateur
Le juge des enfants avait prononcé un couvre-feu pour Adel de 22h à 6h du matin que le mineur a respecté et il avait aussi demandé à ce qu’il rencontre un éducateur de la Protection Judiciaire de La Jeunesse (PJJ). Sept mois plus tard, faute de moyens, Adel n’a rencontré aucun éducateur. Le magistrat l’apprend à l’audience sans s’en émouvoir, car fréquent.
D’après une étude du syndicat de la magistrature révélée par RMC au moins 3.350 mesures de placements ordonnées par les juges des enfants n’ont pas été exécutées en novembre dernier.
“Que faites-vous actuellement ?”, demande le juge des enfants à Adel*. “Je suis en ébénisterie, répond l’adolescent. Mais je n'y vais plus trop”. “Que souhaitez-vous faire du coup?”. “De la carrosserie”.
“Et vous avez trouvé cette réorientation?”, demande le juge. “Oui, j'ai rendez-vous le 17 juin”, répond Adel. Jean Mesure s’adresse ensuite à la mère d’Adel* face à lui. Elle élève seule son fils cadet Adel et l’un de ses frères, le troisième, l’aîné, vit avec le père dont elle s’est séparée après des violences conjugales.
“Du coup, comment ça se passe à la maison?”, l’interroge le magistrat. “Ça se passe très bien, répond la mère. Adel ne sort plus trop. Aucun problème d'horaire”. Le juge renchéri: “Et au niveau de l'insertion de la scolarité, il arrive à se mobiliser?”.
“Il n’y va plus. Mais là, il a un rendez-vous pour une alternance le 17 juin et s'il a accepté chez ma mère, parce que même lui ne veut plus rester en région parisienne”.
Plainte contre l'IGPN
Se pose la question du maintien ou non de la mesure qui attribue un éducateur à Adel*. La mère, un peu inquiète que son fils n’obtienne pas son alternance, y est favorable, Adel lui dit ne pas en avoir besoin. “Le but de ces mesures, au-delà de vous aider dans votre insertion, explique le juge des enfants, c'était d'empêcher le renouvellement des faits. Et de ce point de vue, là, manifestement, votre part du contrat est rempli puisqu'il n'y a eu aucune nouvelle poursuite depuis”.
Comme dans un procès classique, l’avocate d’Adel Me Pauline Bouvet plaide pour sa défense: “Le seul certificat médical qu’on ait dans ce dossier, c'est celui d’Adel* qui mentionne cinq jours d’ITT. Adel a été traumatisé par les violences qu’il a subies pendant son interpellation par sept policiers. Il n’avait que 14 ans”. L’avocate présente au juge une série de photos du visage d’Adel prises aux Unités Medico judiciaires après son interpellation.
“Un hématome très important au-dessus de l’œil gauche. Un autre hématome très important sur la pommette droite. Ça veut dire quoi?”, interroge Me Bouvet. "Ça veut dire qu’il a pris des coups de poing. Nous avons déposé plainte à l’IGPN”, annonce Me Bouvet.
Elle plaide la dispense de peine et de toute mesure “compte tenu de l'ancienneté des faits, du fait que ce soit un primo délinquant et qu'il n'y a pas de partie civile”.
Avertissement judiciaire
Sans délai, le juge des enfants informe sa décision, “parce que c'est la première fois, parce que vous êtes jeune, parce qu'il y a un cadre éducatif qui est posé par la maman. Je vais me contenter effectivement d'un avertissement judiciaire”, sans suivi éducatif.
Cette condamnation ne sera pas accessible aux futurs employeurs d’Adel*, “il faut entendre quand même que la justice et la police vont se souvenir de ce qui s'est passé monsieur, explique Jean Mesure. Je vous rappelle également que cette condamnation, elle, vise les actes de violence qui ont été posés sur des fonctionnaires de la police nationale. Ce qui est visé, ce n'est pas le fait d'avoir des opinions politiques quand on a votre âge, parce que ça, c'est très bien, mais la manière d'exprimer ses opinions politiques, ça doit toujours être exclusif de toute violence”.
À la sortie de l’audience, Adel* peut enfin tourner la page. Sa mère est soulagée. “On va dire, c'est un bien pour un mal. Voilà avec ce qui s'est passé, Adel, c'est fini, il ne veut plus retourner en garde à vue. Il ne veut plus avoir affaire à la police. C'est vrai qu'il y avait plusieurs étapes de justice et nous, ça nous travaillait beaucoup. Adel n'était pas bien tant que ce n’était pas terminé. Et même à la maison, son comportement, il a changé. Je suis contente de mon fils. Ça lui a servi de leçon. Elle ajoute, la justice est là pour rétablir les choses. Et j'espère que les policiers voient assumer ce qu'ils ont fait aussi à mon fils”, en référence au signalement adressé à l’IGPN.
RMC a eu des nouvelles d’Adel depuis l’audience, il a obtenu son alternance en carrosserie comme il le souhaitait.