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Politique

La face cachée du FN sur C8: "les identitaires ont une place au sein du FN, ils infusent leurs idées"

Le documentaire "La face cachée du Front national" est diffusé ce mercredi sur C8

Le documentaire "La face cachée du Front national" est diffusé ce mercredi sur C8 - LIONEL BONAVENTURE / AFP

C8 diffuse ce mercredi soir La face cachée du Front national, un documentaire pour comprendre comment le FN est devenu, en quelques années, le premier parti de France chez les jeunes. Comment travaillent les adhérents du Front National, qui poussent des milliers de jeunes Français vers les idées de l'extrême droite? Eléments de réponse avec Céline Crespy, coréalisatrice du film.

Céline Crespy, journaliste, coréalisatrice du documentaire La face cachée du Front national:

"On s'est intéressés au Front national parce que ce parti est aujourd'hui aux portes du pouvoir, ce qui était totalement inconcevable il y a encore trois ans. Aujourd'hui, c'est un parti qui attire beaucoup, notamment des personnes qui n'étaient pas du tout dans la mouvance FN, qui avaient une sorte de rejet de ces idées. Face à ce constat, au départ, nous avons voulu savoir, à quelques semaines de la présidentielle, pourquoi les jeunes votaient Front national et si finalement il s'agissait d'un parti comme un autre.

Moi, j'ai 40 ans. Je suis d'une génération où, quand on avait 20 ans, on n'exprimait pas ce genre d'idées parce que ça allait à l'inverse des valeurs que l'on portait en tant que jeunes. On s'est aperçus que les jeunes sont non seulement attirés par les idées du FN, mais aussi le revendiquent. Ils sont notamment très présents sur les réseaux sociaux pour affirmer haut et fort que Marine, comme ils disent, et non Marine Le Pen, porte un espoir.

"On a été surpris par leur professionnalisme"

Nous avons mené notre enquête au sein du FNJ (Front national de la jeunesse) des Alpes-Maritimes parce que celui-ci est particulièrement dynamique et que comme Bryan Masson, le patron de ce FNJ, venait d'être nommé un mois, il allait devoir faire ses preuves. On a constaté que, sur place, ces jeunes étaient sans filtre mais surtout qu'ils n'avaient pas de signes extérieurs de racisme. Ils étaient 'tout bien comme il faut', en pleine adéquation avec la politique de dédiabolisation. On aurait donc pu croire que le FN s'était aseptisé.

Ils n'ont pas de crâne rasé, ni de tatouages de croix gammées, ils ont des diplômes, savent très bien s'exprimer, connaissent les codes des médias… On a donc d'abord été surpris par leur professionnalisme. La preuve avec Bryan Masson: un jeune homme de 20 ans, en khâgne, qui milite depuis l'âge de 15 ans, et qui connaît tous les codes de la politique.

"Beaucoup cautionnent la théorie du grand remplacement"

On a ensuite été très surpris par leur dynamisme sur les réseaux sociaux. Il suffit de regarder ce qu'on appelle la fachosphère, qu'eux préfèrent appeler la 'réinfosphère', à savoir l'énorme activité des comptes Facebook et Twitter acquis à la cause de Marine Le Pen. Autant d'interactions sur les réseaux sociaux qui font qu'il y a une sorte de bulle, dans laquelle les idées de Marine Le Pen font consensus, alors que ce ne sont que des effets de propagande. Ce qui m'a aussi beaucoup marquée, c'est de voir combien les militants se sentent investis d'une forme de mission. Ces jeunes d'une vingtaine d'années se disent victimes de l'héritage de mai 68. Ils sont donc assez conservateurs.

Quand on rencontre ces jeunes devant la caméra, ils se tiennent bien, ils ont des propos bien policés. Mais, en caméra cachée, on a pu voir le FN sans filtre. Car dans l'intimité, ils se lâchent, tiennent des propos racistes, ont des idées très ethniques. Beaucoup cautionnent la théorie "du grand remplacement": ils ont peur que les populations immigrées fassent changer d'un point de vue ethnique notre société. Ils considèrent donc qu'il s'agit d'une menace pour la civilisation française. Parfois, ils tiennent des propos très nauséabonds, qui rappellent les heures sombres de notre histoire. On l'a notamment constaté avec Benoît Loeuillet, responsable du FN à Nice, qui tient des propos négationnistes en remettant en cause l'ampleur de la Shoah.

"Marine Le Pen ne peut pas ignorer la présence d'identitaires au sein de son parti"

Ce qui est nouveau, ce n'est pas tant que les identitaires existent dans le paysage politique français, c'est plutôt qu'ils ont désormais leur place dans le FN. Non seulement ces identitaires ont pris leur carte du parti, ont leur place dans le parti mais surtout infusent leurs idées et ont des places d'élus. C'est ça qui est nouveau et qui est dangereux. Car à l'époque de Jean-Marie Le Pen, les identitaires n'avançaient pas masqués et on savait donc très bien à qui on avait affaire.

Selon moi, Marine Le Pen ne peut pas ignorer la présence d'identitaires au sein de son parti. Je pense qu'elle s'appuie sur certains d'entre eux en raison de leur efficacité d'un point de vue militantisme. Mais elle voit bien aussi que ces idées prennent au sein de la jeunesse. Et d'une certaine manière, c'est assumé car quand Marion Maréchal-Le Pen fait venir dans son équipe Philippe Vardon (cofondateur du Bloc identitaire, qu'il a quitté en 2013 pour rejoindre le Rassemblement Bleu Marine, NDLR) pour les régionales de 2015, elle n'ignore pas qui il est. Il y a donc un double visage du FN: d'un côté la dédiabolisation, de l'autre une radicalisation avec l'acceptation de ces identitaires".

Propos recueillis par Maxime Ricard