Pourquoi le 10 mai 1981, jour de l'élection de François Mitterrand, reste une date "mythique" pour la politique française
Le matin du 10 mai 1981, personne ne pouvait jurer de ce qui allait se passer le soir. Les sondages donnaient Giscard et Mitterrand au coude à coude. Le président sortant avait rassemblé 28% des suffrages au premier tour. Avec le report des 18% de Jacques Chirac, il pouvait espérer gagner. Sauf que les reports ont été très mauvais. On apprendra plus tard que Jacques Chirac a appelé discrètement ses partisans à voter Mitterrand.
Le candidat socialiste, lui, est prudent. Il a perdu de très peu la présidentielle de 1974, 7 ans avant. La gauche a aussi perdu les législatives de 1978 alors que les sondages prédisaient sa victoire. Donc François Mitterrand n’est pas serein et ses partisans non plus.
Une journée loin de Paris
Ce 10 mai 1981, François Mitterrand passe la journée à Château-Chinon, la sous-préfecture de la Nièvre, dont il est député-maire et où il vote. Et depuis 20 ans lorsqu'il vient, il loge à l'auberge du Vieux Morvan, chambre 15. Le 10 mai, en fin d'après- midi, il attend les résultats dans la salle à manger, entouré de ses proches et des journalistes.
Vers 18h30, il est en train de disserter sur les arbres du Morvan lorsque son futur chef de cabinet, Jean Glavany, vient lui glisser à l’oreille que la Sofres le donne gagnant. Mitterrand ne bronche pas. Il dit juste: "bon nous verrons ça". Et il reprend ses explications sur les arbres et les sols granitiques.
Un peu plus tard, on l’informe que tous les instituts de sondage annoncent sa victoire. Cette fois Mitterrand réagit. Il dit plusieurs fois : ``Quelle Histoire”. Puis il monte dans sa chambre pour écrire son premier discours avec deux proches, Jean Glavany et Louis Mermaz. Et deux journalistes d'Europe 1, Ivan Levaï et Anne Sinclair. Ils ont écrit à 10 mains donc, le discours que François Mitterrand a prononcé à la mairie de Château-Chinon après 20 heures: "Cette victoire est celle des forces de la jeunesse et des forces du travail. Je mesure le poids de l’histoire, sa rigueur et sa grandeur".
Dans la cohue et avant de prendre la route pour Paris, François Mitterrand répètera encore: "mais quelle histoire". À Hubert Védrine, il dira: "Est-ce que vous vous rendez compte de ce qui nous arrive?" Puis à un jeune publicitaire de l’équipe, Gérard Collé, il a glissé cette confidence étonnante: "En fait, c'est 7 ans trop tard". Sous entendant qu’il se sentait vieux, et qu’il aurait préféré gagner en 1974.
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Pourquoi cette journée a-t-elle autant marqué les esprits?
Parce que c’est un jour de bascule. Depuis les débuts de la 5ème république, la droite était au pouvoir. La gauche n’avait connu que l’opposition. D'où la liesse de ce que l’on appelait “le peuple de gauche”. Le 10 mai a été une nuit de fête, dans toute la France, pas seulement place de la Bastille à Paris. Aucune autre élection présidentielle depuis n’a fait sortir autant de monde dans la rue.
Quant aux militants de droite, gaullistes et giscardiens, ils étaient atterrés. Inquiet de l'entrée de ministres communistes au gouvernement. Le lendemain, certains sont allés vider leur plan d’épargne par précaution. D'autres ont réservé des billets pour partir à l’étranger. Ça non plus, cette inquiétude, on ne l'a plus revue depuis.
Quarante ans après, que reste-t-il de ce 10 mai?
Aujourd'hui, il reste de ce 10 mai 1981, les premières mesures de la gauche au pouvoir: l’abolition de la peine de mort, la retraite à 60 ans, les 39 heures, la cinquième semaine de congé payé et les nationalisations. Et puis, la fête de la musique, la pyramide du Louvre, la Bibliothèque nationale de France.
Mais aussi un passif. En fin de règne, la révélation d’un passé ambigu sous Vichy. Une amitié incompréhensible accordée jusqu’au bout à René Bousquet, l’organisateur de la rafle du Vel D'hiv. Une politique pro-serbe en Yougoslavie malgré les crimes de Belgrade. Et un aveuglement total face au génocide au Rwanda qui vient encore d’être souligné par une commission d’historiens 40 ans après.