La ministre Frédérique Vidal recadrée après avoir demandé une enquête dans les universités: mais qu'est-ce que l'"islamo-gauchisme?
Le CNRS a fait un communiqué mercredi pour dire que l’Islamo-gauchisme ne correspond à aucune réalité scientifique. La Conférence des présidents d’université a demandé à la ministre de laisser cette “pseudo-notion” à l'extrême droite. On comprend bien que l’on parle de sujet ultrasensible ou les mots comptent beaucoup.
À l’automne déjà, le ministre de l'Éducation, Jean Michel Blanquer avait dénoncé les idéologies indigénistes, racialistes, décoloniales. Il accusait les tenants de cet islamo-gauchisme d’être complice de l’assassinat de Samuel Paty.
Le ministre avait alors reçu le soutien d’une centaine d'universitaires. Et pas n’importe qui. L’historien Pierre Nora, le spécialiste de l’Islam, Gilles Kepel, le philosophe Marcel Gauchet. Ils avaient dénoncé ces idéologies venues des campus nord-américain qui menacent l’université et nourrissent la haine des blancs et de la France. Et ils avaient demandé à la ministre de l’enseignement supérieur d’intervenir.
Mais une autre pétition signée par 2000 universitaires avait répondu en défendant l'indépendance des enseignants et en estimant que le ministère n’a pas à se prononcer sur le travail des chercheurs.
Concrètement, de quoi parle-t-on?
Il y a deux ans déjà, l’hebdomadaire l’Obs avait donné de nombreux exemples dans une enquête signée Matthieu Aron. À la fac de Strasbourg, intervention en master de l’animatrice d’un camp d’été décolonial, réservé aux victimes du racisme d'État. C'est-à-dire un rassemblement interdit aux blancs.
À Lyon 2, un cours de sociologie sur le féminisme islamique autour d’un livre d’une chercheuse qui dénonce le féminisme “raciste” de Simone de Beauvoir.
À Aix, un directeur de recherche émérite du CNRS qui préside le jury d’une thèse complaisante sur un prêcheur islamiste radical. Le même professeur qui défend activement Tariq Ramadan, accusé de viols. On peut encore citer l'université de Limoges qui invite pour un séminaire d’étude décoloniale Houria Boutldja, à l’époque porte-parole du parti des indigénistes. Une femme qui a écrit que “la shoah est moins qu’un détail”, “qu’une tarlouze n’est pas tout à fait un homme”, ou bien encore qu’une femme noire, violée par un noir, ne doit pas porter plainte pour protéger sa communauté. Son invitation à Limoges avait finalement été annulée. Voilà quelques exemples cités par l’Obs, journal peu suspect de sympathie pour l'extrême droite.
Maintenant, est-ce qu’il s’agit des excès de quelques chercheurs en sociologie, de quelques séminaires, d’un courant de pensée actif mais minoritaire, ou bien est-ce qu'il s'agit d'un phénomène qui gangrène toute l’université, comme la dit la ministre? C’est toute la question. Et je ne suis pas capable d’y répondre.
Frédérique Vidal a demandé une enquête
C’est peut-être justement pour répondre à cette question que Frédérique Vidal a demandé une enquête. Mais elle s’y est tellement mal prise qu'elle a peu de chances d’obtenir des résultats, sauf celui d’avoir provoqué la colère d’une grande partie du monde académique.
Elle a voulu confier cette enquête au CNRS, le plus grand organisme de recherche public en France dont ce n’est pas le métier. “Le CNRS n’est pas une police politique” s’est exclamé l’ancien président de la fac de Strasbourg. Et la direction de l'institution a carrément envoyé hier une fin de non-recevoir à la ministre. Un communiqué cinglant pour condamner ceux, en l'occurrence celle qui remet en cause la liberté académique.
Parce que cette liberté est au centre du fonctionnement de l’université française. Les professeurs des universités sont des fonctionnaires qui jouissent d’une entière indépendance. Ils enseignent ce qu'ils veulent et comme ils le veulent sous le seul contrôle de leur pair. Ce sont les seuls fonctionnaires qui n’ont aucune obligation de réserve, qui peuvent s’exprimer publiquement librement, y compris pour dénoncer le racisme d'État s’ils estiment qu’il y a un racisme d'État.
Cette enquête sur le supposé Islamo gauchisme ne se fera sans doute pas. Mercredi, le porte-parole du gouvernement a déjà franchement rétro-pédalé en expliquant que ce n'était pas la priorité.