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"Je me dis que les mentalités ont évolué": le mariage pour tous a été adopté il y a dix ans

Le 23 avril 2013, l'Assemblée nationale adoptait le mariage ouvert aux couples de mêmes sexe. Dix ans plus tard, ces mariages se sont banalisés, même si les traces psychologiques des mots prononcés pendant les mois de débats sont encore présentes.

C'était il y a dix ans jour pour jour. Le 23 avril 2013, l'Assemblée nationale adoptait définitivement la loi Taubira ouvrant le mariage et l'adoption aux couples homosexuels. La France est le 14ème pays au monde à avoir autorisé le mariage pour tous, le neuvième au niveau européen.

Dix ans plus tard, Cody, 46 ans, a franchi le pas. Elle vient de se marier, il y a seulement une semaine, avec sa conjointe. En épousant une femme, cette lyonnaise s'attendait à quelques difficultés mais tout s'est finalement bien passé: "On appréhende un petit peu la réaction des mairies et des maires et en fait, ne nous a pas posé des questions à chaque fois que j'ai appelé. Que ce soit la salle, pour le traiteur, on a été ne me suis pas mal accueillie."

"Je me dis que les mentalités ont évolué. En fait, notre mariage, on avait l'impression que c'était un mariage comme un autre" explique-t-elle.

Une appréhension chez certains futurs mariés, qui persiste dix ans après les débats sur cette loi, et qu'il faut donc rassurer. Sophie a créé en 2017 une agence de wedding planner spécialisée dans l'organisation des mariages pour les couples LGBT: "quand je demande mais pourquoi vous choisissez quelqu'un qui est spécialisé LGBT et ils me disent: 'On ne se sent pas jugé'. Moi, de mon côté, je me sens crédible aussi de leur proposer puisque moi-même j'appartiens à la communauté LGBT."

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Une banalisation des mariages entre même sexe

Aujourd'hui, Sophie observe les mentalités évoluer et travaille facilement. Ce qui n'a pas toujours été le cas. Elle raconte qu'il y a quelques années, alors qu'un "couple de garçons voulait visiter un domaine" où ils voulaient organiser leur mariage et sur lequel "ils avaient vraiment flashé", la propriétaire du domaine a refusé. "A partir du moment où elle a su que c'était un garçon, je lui ai demandé pourquoi elle me disait non, mais de toute façon, ça va contre mes convictions." Des cas de plus en plus rares selon l'organisatrice de mariage.

En effet, les mariages entre couples de même sexe se banalise. Ce qui n'enlève rien au souvenir douloureux des vifs débats d'il y a dix ans: "D'un point de vue psychique, les traces restent. Ces blessures perdurent" juge Arnaud Alessandrin, sociologue spécialiste des questions de genre et de discrimination.

"L'homophobie n'a pas été oubliée, mais d'un point de vue collectif, le niveau de tolérance semble avoir considérablement augmenté. C'est comme si, d'année en année, on évaluait grosso modo qu'aujourd'hui, il est acté que le mariage pour tous ne peut plus être une réforme sur laquelle on pourrait revenir", explique-t-il.

"Une victoire chèrement acquise"

Depuis l'entrée en vigueur de la loi, plus de 70.000 mariages LGBT ont été célébrés en France, soit un peu plus de 3% des unions. Le premier, c'était lui: Vincent Autin s'est marié le 29 mai 2013 à Montpellier.

Le premier mariage d'un couple de même sexe, un peu plus d'un mois après le vote de la loi à l'Assemblée nationale: "Ça a été un plein bonheur et un bonheur partagé bien au-delà de notre simple union. Pour toutes celles et ceux qui étaient présentes au moment de ce moment historique qui nous dépassait de loin", raconte-t-il, ce dimanche, dans la Matinale Week-End de RMC. Être le premier couple marié, avec son ancien mari Bruno, n'était d'ailleurs pas un choix de leur part mais "juste un concours de circonstances."

Cette loi est "une victoire chèrement acquise au fruit d'un long combat avec des horreurs qui ont été proférées pendant des mois et des mois. C'était un ouf de soulagement", déclare-t-il.

Lui aussi est toujours marqué par les mots entendus pendant le débat autour du mariage pour tous en 2013: "C'est une plaie qui ne se refermera jamais tant qu'on n'aura pas endigué ce problème de LGBTphobie en France, ce problème de discriminations. Quelle que soit la raison pour laquelle on est discriminé, c'est une plaie qu'il faut qu'il faut soigner et qu'il faut guérir."

"Ça a réveillé une vague d'homophobie qui était sans doute dormante en France. Un tel niveau de violence, je pense que nous l'avons jamais connue en France. Et ça, aujourd'hui, les associations, les militants continuent à payer le prix fort en accompagnant l'ensemble de ces victimes", explique-t-il.

En entendant plusieurs élus comme Christian Estrosi, Jean-François Copé ou Gérald Darmanin regretter leur vote contre le mariage pour tous, Vincent Autin y voit surtout de la démagogie:

"Hier, c'était de l'homophobie gratuite, aujourd'hui, c'est de la démagogie à moindres frais. Ça n'efface pas les horreurs proférées au sein même de l'Assemblée nationale, des horreurs qui visaient une partie des Français et des Françaises. J'en ai entendu aucun expliquer et exprimer des regrets quant aux propos qu'ils ont tenu."

Le précédent de 2004

Neuf ans plus tôt, en 2004, le maire de Bègles, Noël Mamère mariait Bertrand Charpentier et Stéphane Chapin, deux hommes: une première en France à l'époque. Il dénonce, sur RMC, le "clientélisme" de ces élus qui aujourd'hui regrettent leur choix: "ces gens-là ont fait preuve de clientélisme et de démagogie à l'époque. Il fallait qu'ils flattent leur électorat puisque ce sont tous des élus de droite et aujourd'hui ils se repentent."

Le mariage de juin 2004 sera jugé illégal le 13 mars 2007 par la Cour de cassation qui juge alors que "selon la loi française, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme". "Je pensais, en mariant ces deux hommes, que nous ferions reculer l'homophobie" explique l'ancien candidat à la présidentielle à RMC.

"Je me suis rendu compte neuf ans plus tard, avec les manifestations de la Manif pour tous et les horreurs que nous avons entendu que ça n'avait pas contribué à faire reculer autant que je le pensais l'homophobie. Mais ça a permis de faire comprendre aux Français que c'était possible."

Ce mariage de 2004 n'était pas, pour lui, un acte de désobéissance civile. Il pensait même que c'était légal, que c'était "une interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme, en regardant cette question sous l'angle de l'égalité des droits". "Ils sont restés mariés pendant un an parce que leur avocate, Caroline Mécary, a fait appel. Donc les impôts les ont considérés comme mariés pendant un an", conclut-il.

Clara Gabillet et Maxime Martinez