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"Ne touche pas tes lèvres après": en immersion chez une injectrice illégale de botox

ENQUETE RMC. Deux sœurs sont jugées ce mercredi pour avoir injecté illégalement du botox et de l'acide hyaluronique à de très nombreuses clientes. À cette occasion, une journaliste RMC a rencontré une injectrice illégale et s’est fait passer pour une potentielle cliente, à micro caché.

Deux soeurs de 25 et 22 ans sont jugées ce mercredi à Valenciennes pour des injections illégales de botox et d'acide hyaluronique sur des centaines de clients, dont au moins 30 se sont portés parties civiles. Les prévenues, qui habitent le Nord, mais auraient exercé dans toute la France, comparaîtront pour "exercice illégal de la profession de médecin" et "blanchiment aggravé". L'aînée est également poursuivie, notamment pour "mise en danger d'autrui avec risque immédiat de mort ou d'infirmité" et "blessures involontaires avec incapacité n'excédant pas trois mois". Certaines victimes ont eu des complications graves: inflammations, nécroses…

C'est en mars que les gendarmes de la section de recherche de Lille avaient détecté, lors d'une "veille numérique" visant ces injections, "deux comptes Instagram et Snapchat particulièrement actifs". Leur propriétaire, qui se présentait sous le pseudonyme de "Doctor Lougayne", a rapidement été identifiée et localisée, a précisé la gendarmerie. L'enquête a permis "de confirmer les pratiques illégales de la pseudo-docteur, aidée par sa soeur, et d'identifier plusieurs centaines de clients pour des bénéfices estimés à plus de 120.000 euros", ajoutait la gendarmerie. Les deux soeurs ont été arrêtées en mai à Valenciennes après "des injections sur plusieurs clientes, pour des tarifs allant de 200 à 400 euros".

Les enquêteurs ont alors retrouvé "une centaine de seringues et de fioles d'acide hyaluronique et de botox, pour la plupart d'origine étrangère", dont certaines périmées, ainsi que "plus de 14.000 euros en liquide". Les produits présentaient un taux de bactéries jusqu'à "cinquante fois supérieur aux seuils maximum autorisés", selon les gendarmes. Au 17 août, jour où s'est tenue une audience de renvoi, trente victimes présumées s'étaient portées parties civiles, dont un homme. La soeur aînée a été placée en détention provisoire en juillet, et sa benjamine sous contrôle judiciaire. Chacune encourt jusqu'à 10 ans de prison.

Mais ces deux soeurs sont loin d'être les seules sur ce marché... Sur Instagram, des dizaines de profils proposent des injections à des prix défiant toute concurrence. C’est ce qu’on appelle les "fake injectors", soit les injectrices illégales.

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9:21

"J'ai mon diplôme, mais c’est illégal"

Pour comprendre, RMC s'est fait passer pour une potentielle cliente. Et pour les trouver, ces injectrices, c’est très facile. Il suffit de taper "injections" dans la barre de recherche sur Instagram. Des dizaines de comptes en proposent, avec à l'appui des centaines de photos avant-après de bouches repulpées et de nez en trompette. Après avoir contacté plusieurs de ces comptes, nous nous sommes rendus sur le lieu de travail d'une injectrice illégale, dans un pavillon d'un quartier calme du nord-ouest parisien. C'est une femme d'une vingtaine d'années qui accueille.

Elle a de longs ongles manucurés et des lèvres gonflées, nous l'appellerons Anna. Dans une chambre, elle a installé une table d'examen et une "ring light", ces lampes qu’utilisent les Youtubeurs, à coté d'un mur de fleurs en tissus. Trois jeunes femmes attendent déjà, l'une a la bouche enduite de crème anesthésiante. En attendant qu'elle fasse effet, Anna essaye de nous rassurer: elle a suivi une formation, même si elle le dit tout de  suite, c'est clandestin.

"J'ai mon diplôme, mais c’est illégal. En France, si tu n’es pas médecin, tu n’as pas le droit d’injecter qui que ce soit. J’ai le droit d’acheter du produit, j’ai le droit de me faire mes propres injections, mais je n’ai pas le droit de le faire à d’autres personnes. C’est un peu comme la prostitution."

50 euros en cash

Pour Anna, c'est aberrant que seuls les médecins puissent injecter. L'acide hyaluronique, la substance qu'elle injecte, il y en a déjà dans le corps, alors selon elle, on ne craint absolument rien: "C’est une substance naturelle, il y en a déjà dans ton visage, comme le collagène, donc il n’y a aucun risque pour la santé. Ni d’allergie, ni de boutons, ça ne va pas devenir noir ou quoi que ce soit… Aucun risque!". Or, les risques potentiels vont de la nécrose ou de dommages esthétiques irréversibles jusqu’à la cécité voire la mort dans les cas les plus extrêmes de complications.

Cette prestation, Anna la vend deux à trois fois moins cher qu'un chirurgien, avec la seringue d’un millilitre pour 150 euros. Elle explique que des clientes viennent de toute la France, du Nord ou de Normandie… Les filles présentes dans cette chambre ont fait 1h30 de voiture. Myriem, qui va se faire injecter, a déjà l'équivalent de deux seringues et demie dans les lèvres, soit 2,5 millilitres: "C’est ma troisième fois. Là, j’aurai 3 ml (dans les lèvres). J’avoue que j’aimais déjà bien le résultat. C’est un caprice (rires)".  

Anna nous propose de rester assister à son injection. Elle enfile des gants jetables après un très court lavage de mains. Nous sommes toujours cinq dans cette petite piece, les conditions stériles sont loin d’être respectées. "Je vais chercher le produit. Ce sont des seringues déjà remplies. Tu es prête?", demande Anna.

Après avoir désinfecté la bouche de la cliente, elle commence à piquer. Et là, en voyant les injections, l'une des amies de Myriem se raidit. En bonne commerçante, Anna tente de la rassurer: "C'est très impressionnant quand tu regardes". Avant de conseiller à Myriem "de ne pas toucher": "T'as des microbles sur les doigts, ne touche pas tes lèvres après". Trente minutes plus tard, c'est fini. Pour une demi-seringue de produit, et comme c’est une habituée, Myriem payera 50 euros, en cash. Un prix qui défie toute concurrence... Anna nous explique que pour prendre rendez-vous, on doit la prévenir une semaine avant parce qu'elle ne travaille que le dimanche. Le reste de la semaine, elle a un autre métier, bien loin des seringues.

Lucile Pascanet