Débat de l'entre-deux-tours: "un moment de tension maximale, au résultat imprévisible"

Emmanuel Macron et Marine Le Pen - AFP
Arlette Chabot, journaliste et ancienne directrice générale adjointe chargée de l'information de France Télévisions (de 2004 à 2010):
"C'est le moment le plus fort de la campagne, avec une pression énorme sur les candidats, mais aussi sur ceux qui animent ce débat. Il y a une tension maximale. Ce n'est pas le moment où l'on se risque à faire une plaisanterie avant la prise d'antenne. Le silence est d'ailleurs total pendant les longues minutes qui précèdent le débat, même si l'on n'est que quatre et quelques caméramans sur le plateau.
Ce n'est pas la même chose que pour les débats de la primaire, où l'on peut poser la même question à chaque candidat, demander de réagir à une attaque, ou interpeller un candidat sur une erreur ou une interprétation... Là c'est complètement différent. C'est un duel, le débat appartient aux deux candidats qui s'affrontent les yeux dans les yeux.
"On ne se risque pas à faire une plaisanterie avant le direct"
Ce sont les candidats qui donnent eux-mêmes la tonalité du débat: serein, punchy, combattif, souriant, moqueur… Chacun a envie de donner une image de lui-même. Il faut adopter une stratégie. Marine Le Pen a intérêt à la fois à montrer qu'elle est calme, qu'elle a une image présidentiable, qu'elle a un programme qu'elle maîtrise, tout en étant offensive puisqu'elle est vraiment 'challenger'. Emmanuel Macron, lui, a moins l'habitude des débats et a déjà annoncé que ce serait un 'combat au corps-à-corps'. Donc il va aller la bousculer, la pousser dans ses retranchements sur son programme. Un débat, c'est quelque chose d'imprévisible.
Il y a 5 ans, on disait que le meilleur débatteur était Nicolas Sarkozy, mais c'est François Hollande qui l'a emporté avec sa série d'anaphores à laquelle le président sortant n'a pas répliqué. C'était une surprise pour tout le monde. Le résultat est imprévisible.
"Ségolène Royal avait tout chamboulé en 2007"
Quant à l'organisation, c'est très calibré, rien n'est laissé au hasard. On se met d'accord en amont pour choisir la forme de la table, la distance qui sépare les candidats, sur la hauteur des chaises, sur la réalisation. On va jusqu'à discuter de la température dans le studio, qui sera vérifiée juste avant la prise d'antenne. L'ordre des thèmes est aussi discuté. En 2007, cela n'avait pas empêché Ségolène Royal de changer le plan et l'ordre des thèmes pour tenter de déstabiliser.
Il y a aussi un tirage au sort pour savoir qui s'exprimera en premier, en présence d'un représentant du candidat. En 2007, c'était Jack Lang (pour Ségolène Royal) et Claude Guéant (pour Nicolas Sarkozy) qui avait négocié l'organisation, le choix du lieu, du réalisateur. Cela s'était très bien passé entre les deux hommes. Il me semble que c'est le réalisateur qui avait tiré au sort l'ordre de passage, en leur présence.
"Ne surtout pas sourire à l'un et faire la tête à l'autre"
Nous, journalistes, ne sommes là que pour faciliter l'échange entre les deux. S'il y a une réponse forte, une correction, un ajustement, c'est l'adversaire qui le fait, pas le journaliste.
Le débat est construit en fonction de ce qu'ils veulent en faire, de ce qu'ils ont imaginé dans leur coin, des arguments qu'ils souhaitent mettre en avant et de l'image qu'ils veulent se donner et donner de leur adversaire. Nous devons être d'une neutralité totale, et rester en retrait.
On est plutôt arbitre, mais un arbitre qui fait en sorte que le jeu continue et progresse. Comme sur un terrain de football, il ne faut surtout pas entraver une action de l'un ou de l'autre. C'est le jeu, mais c'est évidemment très frustrant pour le journaliste. On se dit: 'fallait-il relancer l'un sur ce sujet? ; fallait-il demande une précision à l'autre…?'
Mais en même temps vous êtes attentifs à tellement de choses: à votre comportement, au temps de parole des débatteurs, au fait de ne surtout pas sourire à l'un et avoir l'air de faire la tête quand l'autre vous regarde. A la fin vous vous dites: 'c'est fait, je suis contente de l'avoir fait, mission accomplie'. C'est déjà beaucoup."