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"Vous cherchez un emploi? Contactez-moi sur Whatsapp": ce qui se cache derrière l'arnaque à la tâche

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Connaissez-vous l'arnaque à la tâche? Derrière la promesse de gains faciles, se cache une escroquerie internationale. RMC Conso a enquêté sur ces "emplois" qui peuvent vous faire perdre beaucoup d'argent.

"Vous cherchez un emploi? Contactez-moi sur Whatsapp". Si vous avez reçu un appel téléphonique d'un robot vocal vous promettant un travail bien rémunéré à faire depuis chez soi, vous avez sans doute été la proie d'une arnaque "à la tâche".

Mais que se cache-t-il vraiment derrière cette arnaque, identifiée par la police dès 2022 et qui semble en recrudescence depuis janvier 2025? RMC Conso a enquêté et vous révèle les dessous d'une escroquerie d'envergure mondiale.

Tout commence par un appel téléphonique en provenance d'un téléphone portable, 06 ou 07. De nombreux témoignages affirment également avoir reçu un appel en "+44", l'indicatif du Royaume-Uni, comme vous le signalait RMC Conso le 21 janvier. Mais depuis quelques semaines, les escrocs semblent s'être emparés de numéros français, une façon, sans doute, d'apparaître plus crédibles aux yeux de leurs victimes.

Numéros de téléphone et entreprises usurpés

Le message préenregistré ensuite débité nous invite à écrire au numéro, mais précise qu'il faut que cela passe par la messagerie Whatsapp. La promesse: un emploi bien rémunéré, accessible à tous, à faire sans bouger de son canapé.

Lorsqu'on tente un rappel sur le numéro de téléphone, on tombe sur une messagerie. Une voix d'homme: "Bonjour, mon numéro a été frauduleusement utilisé pour vous appeler. C'est ce qu'on appelle du spoofing. Vous avez l'impression que je vous ai appelé mais ce n'est pas le cas, donc ne laissez pas de message, je ne vous rappellerai pas."

Pourtant, lorsqu'on écrit au même numéro via la messagerie Whatsapp, la réponse est immédiate. Le numéro a donc bien été dérobé pour être utilisé à des fins frauduleuses.

"Je viens du groupe Upwork. Êtes-vous ici pour en apprendre davantage sur le travail? Il suffit de travailler une à deux heures par jour pour gagner de 50 à 800 euros," nous explique-t-on.

Upwork est en réalité une plateforme américaine de recrutement spécialisée dans la mise en relation de travailleurs indépendants et de clients. Elle n'est pas la seule entreprise à avoir été usurpée dans le cadre de cette escroquerie.

"Parmi les marques usurpées, on a vu CDiscount, Booking, des fausses plateformes de notation de films (type Allociné), etc. On a même vu des mailings courrier se faisant passer pour Amazon pour ce même type d'arnaque à l'emploi," explique à RMC Conso Béatrice Hervieu, directrice communication du site cybermalveillance.gouv.fr.

10 euros contre un "like" sur TikTok

La mission confiée par notre interlocuteur sur Whatsapp: apposer un "like" sur des vidéos TikTok qu'il sélectionne pour nous, puis lui envoyer une capture d'écran une fois la tâche réalisée.

"Pas besoin de regarder la vidéo en intégralité, il suffit de l'ouvrir, la liker et vous recevrez 10 euros de notre société."

Message Whatsapp envoyé dans une arnaque à la tâche
Message Whatsapp envoyé dans une arnaque à la tâche © Charlotte Méritan/RMC Conso

Le travail commence. Les 10 euros sont payés par virement. Il faut au préalable communiquer son IBAN. Les vidéos à "liker" ont l'air choisies au hasard.

10 euros de commission versés dans le cadre de l'arnaque à la tâche
10 euros de commission versés dans le cadre de l'arnaque à la tâche © Charlotte Méritan/RMC Conso

Certaines sont celles d'influenceurs qui cumulent plusieurs dizaines de milliers d'abonnés. On pourait croire qu'il s'agit d'une prestation qu'eux-mêmes payent pour obtenir davantage d'adhésions sur la plateforme TikTok.

Mais il n'en est rien: l'un d'entre eux, Matis, nous confirme avoir effectivement remarqué qu'une de ses vidéos avait, sans raison apparente, reçu un nombre de mentions "j'aime" plus élevé que d'habitude et dans un court laps de temps. Il assure néanmoins n'en être absolument pas responsable.

En réalité, ces "like" n'ont pas pour objectif de bénéficier aux détenteurs des comptes TikTok. Il s'agit de tâches extrêmement simples à réaliser dans le but de servir d'appât: celui qui s'y soumet pense réaliser une action anodine, permettant un gain, certes minime, mais versé sans manipulation compliquée ni risquée a priori.

Faux profils sur Telegram

Le problème est l'engrenage dans lequel on peut ensuite rapidement tomber. Après avoir versé la première commission de 10 euros, notre interlocuteur nous demande de rejoindre la messagerie Telegram (très utilisée par les escrocs car difficilement traçable). Nous nous retrouvons dans un groupe de 3500 membres.

Groupe Telegram dans le cadre de l'arnaque à la tâche
Groupe Telegram dans le cadre de l'arnaque à la tâche © Charlotte Méritan/RMC Conso

Parmi eux, probablement beaucoup de faux profils qui, au fil des messages, confirment avoir réalisé les tâches demandées et remercient l'entreprise pour leur "avoir versé leur salaire". Une façon de créer une dynamique de groupe et mettre les victimes en confiance (impossible de savoir à combien s'élève le nombre de vraies victimes dans le groupe Telegram).

Les missions s'enchaînent: chaque heure, une nouvelle vidéo TikTok à liker. Les commissions s'amenuisent au fil des tâches. De 10 euros, elles passent à deux euros. Mais patience: on nous assure que très bientôt, nous aurons l'occasion de gagner bien plus d'argent.

Au bout de quelques jours, on nous demande de nous inscrire sur une plateforme de cryptomonnaies. Le site, rédigé dans un mauvais français, montre chiffres et graphiques incompréhensibles. Un œil averti remarquerait rapidement qu'il s'agit d'un faux. Mais un néophyte peut n'y voir que du feu.

Fausse plateforme de cryptomonnaies
Fausse plateforme de cryptomonnaies © Charlotte Méritan/RMC Conso

Victor Baissait, expert en informatique et en intelligence artificielle qui a travaillé sur l'arnaque à la tâche, le confirme à RMC Conso:

"Tout est faux. Les sites de cryptomonnaies sont bidons mais servent à mettre en confiance. Les comptes sur Telegram aussi, les photos de profil ont été générées par des intelligences artificielles pour donner l'illusion que beaucoup de gens participent. On a remonté la trace de ces faux profils et faux sites en Asie du Sud-Est et aux Émirats arabes unis."

Prétendus investissements en cryptomonnaies

Le site de cryptomonnaies est censé nous servir à investir nos gains. Mais rapidement la tâche se complique: il faut verser une "caution" de 39 euros dans l'espoir d'en recevoir 49 en retour.

Les 39 euros sont à verser sur le compte d'une banque en ligne. Un nouvel interlocuteur nous explique la série de clics à réaliser sur la plateforme de cryptomonnaies pour recevoir la commission. Tout est insensé, fait uniquement pour embrouiller l'esprit de la victime afin qu'elle se laisse manipuler, persuadée d'être accompagnée dans une mission devenue soudainement compliquée, mais rémunératrice.

La commission est payée, et les tâches qui consistent à "liker" des vidéos sur TikTok reprennent. Une par heure, toute la journée, de 9 heures à 21 heures. Les notifications nous alertant de nouvelles missions ou de nouveaux messages de soi-disant membres satisfaits d'avoir reçu leur salaire inondent notre téléphone. Pour une personne un peu fragile, la lecture des messages et la réalisation des "tâches" peuvent devenir addictives.

Mais très vite, il faut à nouveau payer une "caution". De 180 euros cette fois, dans l'espoir de toucher 280 euros en retour. C'est ainsi que le piège se referme: au fur et à mesure, les "cautions" réclamées sont de plus en plus élevées, et les commissions de moins en moins versées. Les escrocs exigent de leurs victimes qu'elles fassent des virements de plus en plus importants, en leur faisant croire qu'elles récupéreront leur mise.

"La victime se retrouve dans une espèce de spirale infernale (avec comme un effet d'addiction au jeu): elle achète des lots de "tâches" à réaliser pour espérer gagner un certain montant bien supérieur mais elle n'arrive jamais à atteindre ses objectifs et doit toujours en rajouter," détaille Béatrice Hervieu.

Rapidement, les victimes ne reçoivent plus rien. Sur internet, de nombreux témoignages parlent de milliers d'euros perdus: 5.000, 6.500, 8.000 euros... Un reportage du média britannique BBC fait état d'une victime s'étant fait dérober 100.000 euros. Une enquête de Radio Canada relate l'histoire d'une Canadienne ayant perdu 400.000 euros. L'arnaque est d'envergure internationale.

Cyberesclavage en Asie du Sud-Est

Un article d'Euronews, qui confirme des éléments rapportés par la BBC et par Radio Canada, indique le recensement de victimes dans au moins 60 pays différents. L'escroquerie trouve son origine en Asie du Sud-Est (Cambodge, Myanmar, Laos...), où un million de cyberesclaves seraient retenus dans d'immenses salles dotées d'ordinateurs, et contraints de participer à ces arnaques sous peine de tortures.

Selon l'association britannique Humanity Research Consultancy, des preuves de cyberesclavage ont notamment été découvertes par les autorités cambodgiennes.

Salle de travail où les autorités cambodgiennes soutiennent avoir découvert des preuves de cyber-esclavage
Salle de travail où les autorités cambodgiennes soutiennent avoir découvert des preuves de cyber-esclavage © Humanity Research Consultancy
"Cybermalveillance.gouv.fr n'est pas en mesure de valider cette information mais des éléments des codes sources et autres informations liées aux sites internet frauduleux ont révélé des éléments d'origine sud-est asiatique," affirme Béatrice Hervieu.

Il est donc important de ne pas se laisser tenter par les gains faciles, même si l'on envisage de se contenter des 10 premiers euros versés: en recevant cet argent, on participe à cette escroquerie mondiale, qui, au total, est estimée à 75 milliards de dollars à travers le monde. Mais on se rend également coupable d'un deuxième type de fraude.

"En recevant 10 euros, on devient une mule bancaire et on participe au blanchiment de l'argent issu de ces traffics. Les 10 euros qu'on reçoit ont probablement été volés à quelqu'un d'autre," prévient en effet Centho, vidéaste spécialisé dans les arnaques en ligne, contacté par RMC Conso.

Le seul réflexe à avoir, lorsqu'on reçoit ce type de propositions, est donc de décliner voire d'ignorer les messages reçus... Sinon, on risque, au mieux, de se rendre coupable d'escroquerie. Au pire, de perdre soi-même beaucoup d'argent.

Charlotte Méritan