Guerre en Ukraine: pourquoi la France hésite à envoyer des chars Leclerc à Kiev?

Les Allemands et les Américains ont finalement décidé de livrer des chars lourds à l’Ukraine. L'annonce a été faite mercredi après des semaines d'hésitation. Les regards se tournent maintenant vers la France qui n'a pour l'instant rien annoncé. Officiellement, la France hésite toujours officiellement, hésite et n'exclut rien, c’est en tout cas ce qu’a dit Emmanuel Macron cette semaine en recevant le chancelier allemand Olaf Scholz.
En réalité, rien n’est exclu mais la France n’a pas du tout envie de livrer des chars Leclerc à l'Ukraine. Pour une raison simple, l’armée française n’en a pas tant que cela.
400 exemplaires de ce char ont été livrés à l'Armée de terre depuis la fin des années 90. Aujourd’hui environ la moitié sont encore en service et les autres sont stockés dans des hangars, servant de réservoir de pièces détachées, parce que la chaîne de fabrication des Leclerc, à Roanne dans le Rhône, a été fermée il y a déjà 15 ans.
La plupart des chars Leclerc en activité ne sont pas opérationnels
Et selon Le Canard Enchaîné, la plupart des chars Leclerc en activité ne sont pas opérationnels. Ainsi, sur les 226 chars Leclerc opérationnels, 200 seraient en cours de rénovation. Si l’on en croit l’hebdomadaire satirique, la France ne disposerait donc que d’une poignée de chars lourds en état de marche.
C'est très exagéré, d'après les spécialistes consultés par RMC. S'il est vrai que les chars Leclerc comme tous les chars lourds doivent régulièrement subir des révisions complètes, qu’ils doivent tous être modernisés, mais ces modernisations s'étalent dans le temps et n’immobilisent pas tous les chars en même temps.
Combien de Leclerc en état de marche dispose-t-on?
Alors de combien de chars Leclerc en état de marche la France dispose-t-elle. La question a été posée très récemment au ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, qui a invoqué le "secret-défense".
Mais de récents rapports ont estimé que 80% des chars étaient opérationnels, soit environ 160 véhicules, partagés entre quatre régiments de cavalerie qui ont 50 chars Leclerc chacun dont une quarantaine en état de marche.
Ce n'est pas beaucoup. On parle de quelques centaines de chars lourds, 200 tout au plus, quand la Russie peut en aligner au moins 2.600.
"On n'a plus rien, on est à l'os"
À l’automne dernier, l’état-major français avait estimé qu’en cas de guerre de haute intensité, l'Armée de terre serait capable de tenir un front de 80 kilomètres pas plus. C’est à dire que nous serions incapables de défendre nos frontières. On comprend ainsi mieux pourquoi les militaires français sont très réticents à l’idée d'offrir des Leclerc à l’Ukraine et pourquoi la position de la France est très attentiste.
"On n'a plus rien, on est à l'os. On a mis notre armée à l'os. Cela fait 30 ans qu'on est dans le désarmement budgétaire unilatéral. On a transformé notre armée en petits corps 'expéditionnels'", déplore ce jeudi sur RMC Pierre Lellouche, ancien secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes.
Et en cas de guerre, l'armée française serait aussi assez vite à court de munitions. Au bout de 15 jours seulement, celles-ci s'épuiseraient. Le président de la commission de la défense au Sénat a estimé au printemps dernier que la France ne pourrait pas soutenir un conflit de longue durée. Les stocks de munitions permettraient de tenir au mieux deux semaines. Et un autre rapport parlementaire a souligné récemment que nos munitions, les obus en particulier, sont souvent périmés. C’est un peu comme les masques au moment du Covid-19.
Une grosse augmentation du budget des armées
Le problème pour le résumer en deux mots, c’est que la France est la seule armée européenne qui veut être capable de tout faire. Sur terre, en mer, et dans les airs, et la seule à disposer de la force de dissuasion nucléaire qui coûte très cher. On prend donc le risque de tout faire mais de mal faire.
Cela explique les annonces de la semaine dernière et la très forte augmentation des budgets militaires: plus de 400 milliards sur les 7 ans qui viennent. Un effort que l'on n'avait pas vu en France depuis les années 60.
Mais en attendant, la France se retrouve aujourd’hui la seule puissance occidentale qui n’annonce pas de livraison de chars lourds à l’Ukraine de chars lourds. Peut-être parce qu’on ne veut pas mais plus sûrement parce qu’on ne peut pas.