RMC

Bruno Roger-Petit à l'Elysée: "Il met en péril l'image des journalistes à un moment critique"

-

- - -

L'annonce ce mardi de la nomination du journaliste et éditorialiste Bruno Roger-Petit au poste de porte-parole de la présidence de la République fait polémique. Pour l'historien de la presse et des médias Alexis Lévrier, ce type de nomination alimente les suspicions de connivence entre journalistes et politiques.

Alexis Lévrier est maître de conférences, historien de la presse et des médias. Il est l'auteur de Le Contact et la distance (Les Petits Matins/Celsa), sur la proximité entre journalistes et personnalités politiques.

"Cette nomination traduit une certaine panique de l'Elysée et une remise en question radicale de la communication du président depuis son élection. Ça s'inscrit dans une stratégie globale pour renouer le lien avec les médias. La présidence jupitérienne aura duré le temps d'un été, et le chef de l'Etat a pris conscience qu'il ne pouvait pas se passer de la relation avec les médias. Pour autant, je ne suis pas certain que débaucher un journaliste comme porte-parole soit une bonne chose.

"Le regard sur ces pratiques a changé"

Ce type de passage d'un monde à l'autre, des journalistes vers le pouvoir, c'est finalement assez banal. Il y avait eu ce même type de mouvement au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy - avec Myriam Lévy, par exemple - puis au début du quinquennat de François Hollande – avec des gens comme Patrick Biancone embauché par Valérie Trierweiler, ou Claude Sérillon au service du chef de l'Etat -. Mais il s'agissait surtout de rôles de l'ombre pour gérer la communication présidentielle. Là, Bruno Roger-Petit est nommé porte-parole de l'Elysée, c'est un poste très complexe et particulièrement exposé. Il va être en première ligne. Bruno Roger-Petit était le seul journaliste politique présent à la Rotonde au soir du premier tour de la présidentielle. On savait qu'il avait fait un choix de soutien assumé à Macron. Sa nomination est un prolongement de ce soutien.

Mais les mentalités sont en train d'évoluer. Le regard que l'opinion publique et les journalistes eux-mêmes portent sur ces mouvements n'est plus le même. Les réactions sur Twitter et dans la presse sont d'ailleurs très hostiles. Les temps changent, mais certains journalistes ne l'ont pas compris. Cette consanguinité entre presse et pouvoir, qui est une caractéristique française très ancienne, ne va plus de soi aujourd'hui.

"Une campagne présidentielle très dure à l'égard des médias"

Le risque, c'est de nourrir la défiance de la population à l'égard des médias, de la politique et plus généralement à l'égard de ce que l'on appelle parfois le système politico-médiatique. Je ne crois pas que ce système existe, mais il ne faut pas pour autant donner de grain à moudre à ceux qui pourfendent la prétendue connivence entre médias et pouvoir.

On vient de vivre une campagne présidentielle très dure à l'égard des médias. Il y a des populismes de droite et de gauche qui se nourrissent de cette méfiance à l'égard de la presse, mais ce qui est nouveau, c'est qu'on a fait siffler les journalistes même dans les meetings de François Fillon. C'est devenu un argument électoral de s'en prendre aux journalistes. Il y a une atmosphère très anti-médias aujourd'hui dont se servent Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, et on voit que ça prend dans l'opinion. Alors ceux qui font le choix de passer de l'autre côté du miroir mettent en péril l'image de la profession tout entière à un moment critique. Les journalistes n'ont pas d'autres choix dans une période comme celle-là que l'exemplarité, c'est à dire ne pas nourrir cette suspicion. Et malheureusement, et involontairement sans doute, Bruno Roger-Petit va nourrir cette suspicion. "

Cela étant, il ne faut pas faire d'amalgame. Et la majorité des réactions indignées de journalistes politiques depuis l'annonce de cette nomination montre que ce n'est pas une pratique qui est encouragée et acceptée par toute une profession."

Propos recueillis par Philippe Gril