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"On est une famille d'hypersensibles": ils ont choisi l'école à la maison et expliquent pourquoi

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Depuis 2021, l'instruction en famille (IEF) ne peut s'exercer légalement qu'à condition d'obtenir l'autorisation du rectorat. Celles qui l'exercaient avant la promulgation de la loi avaient bénéficié ces dernières années d'une certaine souplesse de la part des académies mais la donne devrait changer en cette rentrée 2024. Des enfants "pas adaptés à l'école", "hypersensibles" ou simplement pour "être au plus près de son enfant," des familles ont témoigné sur RMC.

Depuis la loi contre le séparatisme du 24 août 2021, qui durcit les règles de l’instruction en famille (IEF) ces dernières mènent un véritable combat. Après une période de relative tolérance avec les particuliers, cette rentrée 2024 marque un tournant pour ce mode d’éducation. Pour la première fois, tous les parents qui pratiquent l’instruction en famille sont concernés.

« Les parents qui pratiquaient déjà l’IEF avant cette loi ont bénéficié, pendant deux ans, d’une autorisation de plein droit qui leur assurait, sauf dans de rares cas, de poursuivre leur projet éducatif », a expliqué auprès du Parisien Me Antoine Fouret.

Harcèlement scolaire

"C'est un vrai choix", explique sur RMC Virignie, habitante de l'Orne. Celle-ci instruit ses quatre enfants, âgés de 11, 10, 8 et 4 ans à leur domicile familial. Si cela s'avère être parfois "sportif", elle assure que son instruction à domicile est "souple". "Chacun a sa chambre, chacun fait son programme, on prend le temps, c'est plus adaptable, on a plus de temps", énumère-t-elle.

Cette mère de famille a décidé de scolariser ses enfants à domicile à la suite d'une mauvaise expérience de son aîné avec son enseignante de CP. "Il a été harcelé par elle, il a mis trois ans à nous expliquer les horreurs qu'elle lui a dit en classe", fait-elle savoir. Pour ses trois autres enfants, "ils ne s'adaptaient toujours pas à l'école".

"Parfois, l'école n'a pas assez de moyens, parfois ce n'est pas le bon enseignant mais je ne mets pas tout le monde dans le même panier", fait savoir Virgnie, qui préfère mettre en avant le "besoin de concentration" de ses enfants.

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"L'enfant a besoin d'une vie sociale", contrebalance le pédopsychiate Patrice Huerre

Pour autant, le pédopsychiatre Patrice Huerre se montre plus circonspect sur les bienfaits de l'IEF, hors cas exceptionnel. "L'enfant a besoin d'une vie sociale avec son groupe d'âge, en plus de ce qu'il connaît dans la vie familiale. C'est ainsi qu'il se socialise, qu'il apprend les différents points de vue et manières de vivre", avance-t-il.

Le pédopsychiatre pointe par ailleurs des possibles effets pervers sur cet IEF, si par exemple l'enfant reste à longueur de journée à la maison, sans aucune activité parascolaire, qu'elle soit "culturelle ou sportive". Selon lui, l'école à la maison peut aussi venir troubler les relations entre parents et la vie familiale en général. Enfin, un enfant qui n'a bénéficié que de l'IEF pourrait subir de "manière extrêmement douloureuse" une scolarisation au collège ou lycée.

"On n'est pas sectaires"

Louise, ortophoniste, a décidé de faire l'école à la maison pour son fils, Charles, âgé de 4 ans. "On n'est pas sectaires, c'est pour accompagner et être au plus près de nos enfants", expose-t-elle, ajoutant qu'il peut se sociabiliser avec plusieurs enfants lors de ses journées à la crèche. Cette mère de famille "constate une baisse importante du niveau scolaire" et regrette qu'on "force les enfants en fin de maternelle à savoir lire et à écrire".

L'ortophoniste ambitionne de pratiquer l'IEF jusqu'à la fin de l'école primaire, voir au début du collège. De fait, son enfant n'aura jamais connu, du moins pour l'instant, l'école, à part la maternelle. "On s'st dit que ce serait plus simple de commencer comme ça plutôt que de lui dire, plus tard, 'on va faire école à la maison'", explique-t-elle.

Flou autour du motif "situation propre à l'enfant"

Désormais, les familles qui souhaitent instruire leurs enfants à domicile doivent obtenir une autorisation du rectorat. Pour cela, elles doivent remplir l’un au moins des quatre motifs légaux : l’état de santé ou le handicap de l’enfant ; une pratique sportive ou artistique intense ; l’itinérance de la famille et une « situation propre à l’enfant ».

C’est ce quatrième motif qui constitue la principale zone grise de la loi, et sur lequel se fonde la majorité des recours devant le tribunal administratif. Des recours dont on ne sait pas s’ils aboutiront positivement pour les familles car les parents de ces 60 000 enfants s’exposent à des poursuites judiciaires si ces recours sont rejetés.

"Les académies se font une joie de nous lyncher. Les grands étaient en plein droit jusqu'à l'année dernière. L'an passé, je pensais avoir l'oautorisation pour mon dernier. J'avais toujours eu des contrôles positifs, ils étaient venus à la maison, il n'y avait jamais eu de problèmes"', relate Virignie

"On a expliqué qu'on est une famille d'hypersensibles, avec une concentration un peu fluctuante et parfois un peu de précocité", précise-t-elle aussi. "On s'est pris un refus..."

Le pédopsychiatre Patrice Huerre note de son côté une "augmentation de la sensibilité des parents à la question scolaire de leurs enfants". Pour lui, il ne faut pas tomber dans un "apprentissage pur et dur des connaissances déjà établies" mais au contraire favoriser l'enfant à cultiver sa "curiosité et son esprit d'initiative". Il reconnaît, pour sa part, que l'école a, elle aussi, "a du retard de ce côté-là, au-delà des apprentissags académiques".

Informations préoccupantes transmises au département

Le problème, c'est que les familles qui décident malgré tout de pratiquer l'IEF se rendent coupable de désobéissance civile et risquent jusqu’à six mois de prison et 7 500 euros d’amende. Virgnie confie par exemple que des "informations préoccupantes" ont été ainsi transmises au niveau du département à propos de sa famille. "Je veux juste instruire mes enfants des bonnes conditions", regrette-elle.

Pour l'année scolaire 2023-2024, selon les chiffres du ministère de l'Education nationale, 88,4% des 51 229 demandes instruites au 1er décembre 2023 avaient donné lieu à des autorisations.

LM