Violentes émeutes anti-vaccin en Guadeloupe: le rôle trouble d'un policier et des gangs locaux

Des nuits d'une très grande violence ont secoué la Guadeloupe à partir de fin novembre 2021, sur fond de protestation contre l'obligation vaccinale pour les personnels soignants et les pompiers. On se souvient du blocage de l'hôpital de Pointe-à-Pitre, des barrages sur les routes, des tirs à balles réelles sur la police, ou bien sur des journalistes.
Ce que l’on apprend aujourd’hui, c’est que ce mouvement de colère contre le vaccin n’avait rien de spontané. D'après le procureur de la république, Patrick Desjardins, les violences urbaines étaient parfaitement organisées et extrêmement planifiées par deux gangs connus.
Emeutes très organisées
Le premier règne sur Baie Mahault, la grande commune de la banlieue ouest de Pointe-à-Pitre: c’est le gang des Chiens de Ri. L’autre sévit à Pointe-à-Pitre et s’appelle le gang “Sektion Kriminel”. Si l’on en croit le procureur, ils se sont mis d’accord et se sont partagés les tâches pour mettre le feu chacun dans leur territoire. “Mettre le feu” au sens propre, notamment les trois premières nuits d'émeutes les 18, 19 et 20 novembre derniers. Les gangs avaient semé la panique de manière organisée en attirant la police sur plusieurs points précis.
Une semaine plus tard, le 26 novembre, les émeutiers étaient descendus dans les rues en fin de journée. Ils avaient brûlé des voitures, pillé des commerces, établi des barricades, et au même moment, un groupe avait incendié un bâtiment public du ministère de la Justice, puis tiré 19 coups de feu vers les forces de l’ordre. D'après le procureur, c’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de morts ce soir-là. On comprend mieux aujourd’hui pourquoi des renforts de métropole avaient été envoyés.
Le rôle trouble d'un policier aujourd'hui incarcéré
L'enquête a montré que ces événements du 26 novembre ont été planifiés, notamment par un policier. C’est là que l’affaire devient stupéfiante. Un brigadier-chef a été interpellé, gardé à vue 96 heures et finalement mis en examen et incarcéré. Il dort actuellement à la prison de Pointe-à-Pitre.
Ce fonctionnaire de police est en poste à la direction de la sécurité publique. Il est par ailleurs délégué du syndicat "Alliance". L'enquête a fait apparaître son implication active. Il est accusé d'avoir apporté des informations précises aux émeutiers sur le positionnement de ses collègues. On le soupçonne aussi d'être directement intervenu dans le choix des objectifs.
Il aurait coordonné des opérations, comme celle qui était prévue le 30 décembre. Des manifestants devaient marcher sur l’aéroport de Pointe-à-Pitre - Le Raizet. Dans le même temps, des membres des deux gangs auraient envahi les pistes avec des voitures volées puis les auraient incendiées. De façon à bloquer durablement le trafic aérien. Finalement, les gendarmes mobiles avaient réussi à bloquer la manifestation avant qu’elle n’atteigne l’aéroport.
L'argent, principale motivation
Que cherchaient ce policier et ces chefs de gangs? Du fric ! Il voulait simplement gagner beaucoup d’argent. Le procureur Desjardins explique que cette bande organisée a voulu profiter du climat social et des manifs anti-vax pour percevoir des sommes considérables.
De deux façons. D’abord en faisant pression sur de grands groupes pour soutirer des sommes importantes en échange de la promesse que les émeutiers allaient les épargner. Autrement dit, c’était du chantage et du racket. Et visiblement, ça a marché puisque l’on a bien vu que les grands centres commerciaux de l’île n’ont pas été victimes de pillages.
Et puis, deuxième façon d’obtenir de l’argent: se tourner ensuite vers les élus en promettant de ramener le calme en échange de subventions. De fait, une réunion de sortie de crise a rassemblé les principaux élus de l'Île et plusieurs jeunes soupçonnés d'être les chefs de gang. Notamment un certain Bwana, chef du gang des Chiens de Ri, qui s’est vu confier une mission de médiation. Avant d'être finalement arrêté dans le cadre de cette enquête.
Un haut magistrat de l'île, cité par Le Monde, parle d’une collusion entre les voyous et les politiques pour acheter la paix sociale. Il dénonce un système mafieux. Un système auquel la justice a visiblement décidé de s’attaquer…