"Expliquez-nous": pourquoi la patronne d'Engie est-elle sur la sellette ?
Le conseil d‘administration du groupe Engie se réunit ce jeudi en urgence pour débarquer sa directrice générale, Isabelle Kocher. Ce qu’on lui reproche déjà en haut lieu, c’est d’avoir tenté de sauver son poste par des initiatives maladroites. Se sachant menacée, elle a lancé dans le Journal du Dimanche, le week-end dernier, un appel à Emmanuel Macron. Puis elle a suscité une pétition de soutien qui a été publiée lundi dans Les Échos.
Une cinquantaine de personnalités des affaires et de la politique défendaient “l'impérieuse nécessité de plaider pour le renouvellement d’Isabelle Kocher”. Pétition signée, entre autres, par Xavier Bertrand, Anne Hidalgo, Yannick Jadot. Les principaux adversaires politiques d’Emmanuel Macron. Ou encore Cédric Villani, l’homme qui lui tient tête à Paris. C'était politiquement suicidaire. Mais c'était surtout du jamais-vu dans le monde capitaliste. Demander à des politiques d'intervenir dans la gouvernance d’une entreprise du CAC 40, il n’y avait rien qui puisse plus énerver, à la fois l’Elysée, Bercy et les membres du conseils d’administration. Bref les choses se sont accélérées et le conseil d’administration a été convoqué aujourd’hui pour régler le problème “Isabelle Kocher”.
Avant même ces initiatives de cette semaine, elle était menacée. Mais la question c’est pourquoi. Parce que c’est une femme? Parce qu’elle a trop secoué l’entreprise, ou bien les deux à la fois? Engie, c’est un géant. C’est l’ancienne entreprise publique “Gaz de France” mariée avec Suez. 160.000 salariés, 60 milliards de chiffres d’affaire, troisième groupe mondial dans son secteur.
C’était aussi l’une des entreprises les plus polluantes de la planète avec des centrales à charbon un peu partout dans le monde. Isabelle Kocher a entrepris en quatre ans une révolution. Elle a vendu tout le charbon et investit massivement dans l'électricité verte, le solaire les éoliennes. Pour résumer en deux mots, elle a produit beaucoup moins d'énergie et plus de services aux collectivités. Une stratégie audacieuse qui n’a pas échoué, mais qui n’a pas été validée par les marchés. Le cours de l’action “Engie” est resté bien en dessous de ces concurrents au niveau mondial. Et le cours de l’action quand on est coté au CAC 40, c’est le juge de paix. Les adversaires d’Isabelle Kocher expliquent donc qu’elle est écartée pour des raisons purement économiques.
Une campagne sexiste
Et c’est pour ces raisons économiques que le gouvernement ne la défend pas. Le gouvernement qui dit ne pas vouloir intervenir et laisser le conseil d’administration décider, même si l’Etat est le premier actionnaire d’Engie avec 33% des droits de vote. On sait qu’Emmanuel Macron n’a jamais vraiment fait confiance à Isabelle Kocher. En 2016, lorsqu’il était ministre de l'Économie, il avait tenté de s’opposer à sa nomination. Mais Ségolène Royal alors ministre de l'Écologie l’avait emporté, et avait aidé à la nomination de cette normalienne, agrégée de physique, ingénieur du corps des mines, et mère de cinq enfants.
Mais ses partisans dénoncent aussi une campagne sexiste menée contre elle. Et ils ont raison. Isabelle Kocher a été victime d'attaques inouïes et jamais vues dans cet univers. Des lettres anonymes, des tracts. On lui a volé un petit carnet en moleskine ou elle notait ses réflexions personnelles après les réunions. Et des pages ont été photocopiées et diffusées dans l’entreprise par un groupe de cadres anonymes… Ceux qui connaissent la tour “Engie” à la Défense parlent de boules puantes, de coups tordus et d’une atmosphère devenue irrespirable.
Aucune femme parmi les directeurs des entreprises du CAC 40
Ajouté à cela, une séparation dans sa vie privée. Un divorce, ce qui n’aurait pas été un sujet si, elle avait été un homme. Mais qui est devenu toute une affaire. Elle a été accusée d’avoir favorisé le nouvel homme de sa vie. Parce qu’il dirige un cabinet de conseil, client d’Engie. C’est finalement son président, l’époque Gérard Mestrallet, avec qui elle était pourtant en guerre qui avait dû monter au créneau pour la défendre et affirmer qu’il n’y avait aucun conflit d'intérêt.
Alors victime de résultats insuffisants, ou victime du machisme de l’establishment ? Et bien certainement les deux. Mais le résultat est là: désormais les 40 entreprises du CAC 40, seront dirigées par 40 hommes et zéro femme.