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Festival d'Angoulême: "c'est vraiment très dur de percer dans le monde de la BD"

La couverture de Stupor Mundi, la dernière BD de Néjib

La couverture de Stupor Mundi, la dernière BD de Néjib - Gallimard BD

Ils sont dix, dont deux femmes, à pouvoir prétendre au Fauve d'Or du meilleur album de BD décerné ce samedi soir au Festival d'Angoulême. Parmi eux, Néjib, auteur de Stupor Mundi (Gallimard BD). Né en Tunisie en 1976, cet auteur, qui a publié son premier album Haddon Hall - Quand David inventa Bowie en 2012, raconte à RMC.fr son parcours et les difficultés rencontrées.

Néjib, auteur de Stupor Mundi (Gallimard BD) en course pour le Fauve d'Or du meilleur album au Festival d'Angoulême:

"Quand j'étais adolescent, mon rêve était d'être auteur de bandes dessinées. J'étais vraiment fan du travail de Franquin. En grandissant, je me suis plus penché sur Moebius. Au cours de mes études, je suis rentré aux Arts-Déco de Paris. Je me suis alors intéressé à plein d'autres choses: au graphisme, à la peinture, à la vidéo… Ce qui a eu pour conséquence de complètement me désintéresser de la BD. Je n'en lisais même plus. J'ai complètement loupé toute la phase Blutch, Blain, etc. Ce n'est qu'en sortant de l'école en tant que graphiste pour l'édition, en 2000, que je me suis intéressé à nouveau à la BD, notamment à travers le roman graphique. J'ai donc rattrapé mon retard.

Il s'avère que j'avais une histoire qui me trottait dans la tête, qui devenait une obsession avec la nécessité de la raconter. Mais je ne me sentais pas du tout de la dessiner. Je m'étais donc, à l'époque, associé à une illustratrice intéressée par mon histoire. Mais on n'y arrivait pas… Et, comme je faisais beaucoup de story-board, de petits dessins pour préciser mes idées, à force, celle-ci m'a dit que c'était à moi de dessiner. J'ai un peu hésité, j'ai commencé à tomber quelques planches et en fait je trouvais ça pas si mal. C'est donc comme ça que je suis devenu auteur de bandes dessinées et que j'ai publié mon premier album Haddon Hall - Quand David inventa Bowie en 2012.

"Je suis un cas particulier"

Je ne me l'avouais plus et c'est en le faisant que je me suis rendu compte que j'adore ça et que c'est vraiment ce que je veux faire. J'ai donc enchaîné sur Stupor Mundi, qui a demandé en amont un gros boulot d'écriture et de scénario. Aujourd'hui, j'ai 40 ans mais je suis en réalité un jeune auteur puisque je n'en suis qu'à mon deuxième livre. Et je suis un cas un peu particulier dans ce monde-là car, à côté, je travaille dans le monde de l'édition. Je suis directeur artistique chez Casterman et ma première bande dessinée a été publiée en édition jeunesse. En fait, je fais de la bande dessinée quand je peux: le soir, à midi, le week-end… Il m'arrive même de poser des RTT pour pouvoir travailler sur mes dessins.

Je reconnais que c'est difficile d'allier les deux mais, d'un autre côté, parfois cela a certains avantages. Je pense notamment que j'ai beaucoup moins la pression économique qu'un auteur à plein temps. J'ai donc pu travailler mon scénario assez tranquillement, sans la pression de devoir publier quelque chose tous les ans ou tous les deux ans. L'inconvénient étant que j'ai peu de temps. Je dois donc très bien m'organiser pour pouvoir travailler.

"Il est très difficile de vivre de la BD"

Mais je n'ai pas laissé tomber mon travail car il est très difficile de vivre de la BD, et notamment dans le roman graphique. J'avais un salaire, une vie de famille qui commençait… C'était beaucoup trop risqué de tout abandonner d'autant plus que l'à-valoir d'un roman graphique ne m'aurait pas permis d'en vivre. Je voulais faire une année sabbatique et travailler en freelance mais, à ce moment-là, on m'a proposé le poste de directeur artistique chez Casterman. J'ai accepté parce que ça m'a aussi permis de voir au travail des gens comme Enki Bilal, Frederik Peeters, … Pour moi, c'était une occasion unique de voir comment fonctionnait ces grands artistes.

Et je pense que je vais rester comme ça, ou au mieux à mi-temps, pendant quelques années. Parce que, clairement, économiquement, surtout dans le roman graphique, il faut vraiment avoir pas mal de background et avoir construit sa carrière pour pouvoir en vivre. Aujourd'hui, Riad Sattouf vend 100.000 exemplaires mais il y a 20 ans de travail derrière. Il a construit petit à petit son œuvre, en élargissant son public à chaque fois.

"La dure réalité du tirage"

C'est un long travail. C'est vraiment dur de percer. Je crois qu'il n'y a, en France, que 1.000 ou 1.500 personnes qui vivent de la BD. Il y a beaucoup de personnes qui font de la BD et qui en vivent très mal. Ceux-là doivent compléter avec d'autres travaux: des illustrations, des dessins de presse, de l'enseignement ou un autre travail, comme moi avec mon poste de directeur artistique. Comme je suis dans le monde de l'édition, j'ai tout de suite vu qu'il était très difficile de percer. C'est pourquoi, j'ai toujours conseillé aux jeunes auteurs de très vite se diversifier: de travailler pour la presse, la pub…

Tant qu'on n'a pas eu un gros succès, le travail consacré à un album ne sera pas équivalent à la rémunération que l'on va avoir. Il y a en effet la dure réalité du tirage: si vous n'avez pas un succès particulier, votre album est tiré à 3.000 ou 4.000 exemplaires, avec un à-valoir de 3.000 euros".

Propos recueillis par Maxime Ricard